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jeudi 4 novembre 2010

Le métissage planétaire

Le métissage planétaire où la Tour de Babel mondial-socialiste


Le métissage des peuples est une des grandes obsessions du judaïsme. On retrouve cette obsession chez tous les intellectuels juifs, qu’ils soient religieux ou athées, marxistes ou libéraux. C’est parce que le peuple juif ne pourra être reconnu comme le "peuple élu de Dieu" que lorsque toutes les autres identités nationales auront été réduites en poussière. Le judaïsme politique est en effet principalement une force de destruction, et ce dissolvant est d’autant plus puissant que la présence des juifs dans le système médiatique national est importante.


Les exemples illustrant cette obsession du métissage et de la société multiraciale sont nombreux. Mentionnons par exemple le sociologue séfarade Edgar Morin : "Nous souhaitons le développement des réseaux dans le tissu planétaire, nous appelons au métissage, dans les conditions où il est symbiose et non prise de substance d’une civilisation par une autre."


Il ne s’agit pas dans l’esprit d’Edgar Morin d’encourager un peuple prolifique et dominant à s’étendre en absorbant et en faisant disparaître par mariages mixtes un peuple numériquement plus faible, mais de promouvoir en quelque sorte, un métissage qui affaiblirait un peuple dominant, lui retirerait sa spécificité, tout en conservant le peuple dominé en l’état, comme un flacon d’encre encore pure que l’on utiliserait à doses variables dans de savants mélanges.


L’italien Primo Lévi est lui aussi un partisan de la société métisse, au moins pour les nations blanches qui représentent l’obstacle le plus important pour le peuple juif. Primo Lévi est l’auteur de nombreux romans et essais traduits dans toutes les langues et étudiés dans les collèges et lycées du monde entier. Dans un recueil intitulé L’Asymétrie et la vie, au chapitre Intolérance raciale, il se fait le chantre du métissage : "Plus les aires de provenance sont éloignées, dit-il, plus les croisements sont favorables, ainsi que l’a voulu la sélection naturelle non seulement chez les animaux, mais aussi chez les plantes." [note de Clovis: Cette idée est absolument fausse, plus la distance physique est importante, plus la distance génétique est grande, et plus les conditions du croisement sont difficiles. Chez l'humain, il est même possible que des difficultés psychiques importantes résultent du croisement de 2 lignées dont les pulsions biologiques sont orientées de manière antagonistes.


Et afin de faire accepter cette idée plus facilement, il faut partir du postulat que nous sommes déjà des métis, sans craindre de froisser les populations, et si besoin est, avec le renfort de savantes démonstrations génétiques : "la race indo-européenne n’est pas pure, car rien ne le démontre", écrit-il avec un certain aplomb. De fait, il n’y a guère de différences entre les races humaines [Ceci est faux également. La distance génétique entre les ethnies humaines les plus éloignées est 0.6%]. "En réalité, poursuit-il, malgré les efforts de tous les anthropologues, aucune étude anthropologique sérieuse n’a jamais réussi à démontrer une différence de valeur entre les races humaines, après avoir éliminé les facteurs qui ne sont pas raciaux, à savoir culturels." (L’Asymétrie et la vie, Robert Laffont, 2002, p. 200). S'il c'est primo Lévi qui le dit, il faut le croire.


Dans son livre intitulé La France de l’immigration de 1900 à nos jours, paru en 2004, le démographe Gérard Noiriel entend lui aussi démontrer que la population française est le résultat d’un vaste mélange. Pour ce faire, l’auteur a opté pour une trame thématique plutôt que chronologique, avec quatre grandes parties : Partir, Se faire une place, S’intégrer, Cultiver les différences. Cette présentation permet de mélanger dans les mêmes chapitres tous les peuples qui sont arrivés successivement, et d’estomper les différences entre les Polonais et les ressortissants animistes ou musulmans d’Afrique, arrivés récemment. Il n’y a pas de différence. Il n’y a aucune différence.


L’ancien conseiller socialiste de Mitterrand Jacques Attali est un des plus fervents apologistes de la destruction des identité nationales. Voici comment il imagine le monde futur de ses rêves dans son livre intitulé L’Homme nomade, paru en 2003 : "… Se dessinera alors, au-delà d’immenses désordres, comme la promesse d’un métissage planétaire, d’une Terre hospitalière à tous les voyageurs de la vie." Dans cette nouvelle organisation, "le gouvernement de la planète sera ─ utopie ultime ─ organisé autour d’un ensemble d’agences en réseaux, dépendant d’un Parlement planétaire", qui sera "au service du Bien commun". Ce sera le temps béni "d’une planète sereine et rassemblée". Et Jacques Attali conclut son ouvrage sur ces mots : "Alors surgira comme la promesse d’une Terre enfin accueillante à tous les humains, voyageurs de la vie." Au début de son livre, il écrivait : "Le nomade finira par ne plus nourrir qu’un rêve : s’arrêter, se poser, prendre son temps ; faire du monde une terre promise." (L’Homme nomade, Fayard, 2003, Livre de poche, pp. 35, 471, 472, 34). En réalité, ce serait bien toute la terre qui paraît leur être "promise".


Dans Le Monde est ma Tribu, l’essayiste libéral d’origine ashkénaze Guy Sorman, n’est pas moins favorable au Grand Métissage planétaire que le prophète socialiste d’origine séfarade : "La France, écrit-il, devrait poursuivre sa voie singulière, celle du métissage des cultures plutôt que de l’exclusion de l’autre". La France – le pays des droits de l’homme – représente le modèle idéal de toute nation pour un auteur qui affectionne "un monde métisse, qui va se métissant plus encore." Le phénomène de la mondialisation, qui n’est autre finalement que celui de l’américanisation du monde, entraîne heureusement l’humanité dans cette voie. (Le Monde est ma tribu, Fayard, 1997, p. 399).


Dans l’esprit de ces intellectuels juifs, le destin de l’humanité semble être déjà tracé, et cette conviction les amène à nous faire accroire qu’il est parfaitement inutile de tenter de s’opposer à ce qui est déjà écrit dans la Torah : "Il sera proposé ici que McMonde gère la Grande Migration au lieu de l’interdire, écrit Sorman, car cette interdiction est vaine". (Le Monde est ma tribu, Fayard, 1997, p. 181). Cette idée d’inéluctabilité est récurrente dans le discours planétarien. Mais on se souvient aussi que cette idée sous-tendait déjà le discours marxiste qui prévoyait la prochaine victoire du prolétariat et la disparition des classes sociales.


Selon l’écrivain Guy Konopnicki, tout ce qui n’est pas cosmopolite est bon à être jeté aux orties. Seul le "vaste métissage des cultures qui préfigure et accompagne le métissage général de l’humanité", pourra triompher de toutes les résistances et ouvrir la voie à ce monde de Paix annoncé par les prophètes. "Quelque chose surgit, écrit-il, quelque chose qui nous dépasse et nous échappe." (La Place de la nation, pp. 220, 114).


Le phénomène de dissolution des peuples et des États est de toute manière " inéluctable ", comme l’écrit lui aussi le journaliste du Monde Philippe Bernard. Et pour nous donner un peu de cœur à l’ouvrage, celui ci tente de nous stimuler en aiguillonnant notre fierté nationale : "Cette mondialisation progressive de la population, écrit-il, met à l’épreuve les prétentions universalistes de la France car elle se heurte à des obstacles considérables. Mais la république est-elle si faible qu’elle ne puisse relever ces défis ?"


Les Français doivent donc se mobiliser pour œuvrer tous en chœur à la destruction de leur propre héritage. Il leur faut qu’ils affirment "haut et fort" les valeurs républicaines de la France : "l’égalité homme-femme, le refus des discriminations, l’éducation pour tous, la séparation des religion et de l’État, tout en tempérant son jacobinisme pour laisser la place à l’affirmation d’identités nouvelles, métissées, à l’image de la planète et, pourquoi pas, inspirer la future législation de l’Union européenne." (Immigration, le défi mondial, Gallimard, 2002, Folio, p. 279).


C’est sur ce bel optimisme que se termine le livre de Philippe Bernard. Je me souviens l’avoir appelé un jour au téléphone, il y a une dizaine d’années. L’homme était très occupé, mais je parvins tout de même à l’accrocher : "Juste une question à vous poser, monsieur Bernard, une seule question… Est-ce que vous êtes juif ?" En guise de réponse, il avait eu un petit rire un peu gêné. C’était à l’époque où je découvrais que derrière les articles de presse les plus extatiques en faveur de l’immigration, on trouvait presque toujours un intellectuel juif.


La consommation citoyenne


Les Espérances planétariennes (Les Prophètes du mondialisme) est le plus complet des trois livres, en tout cas assurément celui à lire en premier. En voici un court extrait :


L’avènement du monde sans frontières passera par la transformation des citoyens enracinés en consommateurs planétaires. La société de consommation et les régimes démocratiques viendront à bout de ces crises identitaires dont nous assistons peut-être aujourd’hui aux derniers soubresauts. Ainsi que nous l’explique Alain Finkielkraut, "la consommation met le bellicisme nationaliste hors de combat." Le philosophe dépeint les joies ineffables de la société de consommation, et son utilité appréciable dans le déracinement identitaire des individus :


"L’homme post-moderne, dit-il, rend grâce à la technique d’avoir rompu ses ancrages. Ce n’est pas en nomade mais en touriste qu’il visionne le monde et qu’il déambule dans le grand magasin de l’humanité. C’est en touriste gourmand qu’il sait apprécier l’Inde et son riz basmati au même titre que l’Europe centrale et son strudel aux pommes. Et c’est adossé à cet altruisme touristique, à cette xénophilie de galerie marchande qu’il condamne en bloc, sous le nom d’intégrisme, de nationalisme ou de tribalisme, tout ce qui, dans le monde post-totalitaire, relève encore ou à nouveau de l’amour de la patrie."


Ainsi, "l’antiracisme devient une modalité de la consommation, et la consommation, pour peu qu’elle soit pimentée de saveurs étrangères, une variété de l’antiracisme." (1)


Voilà les lignes directrices qui vont former la trame de la nouvelle société humaine de l’avenir, celle qui nous garantira enfin la paix universelle et le bonheur pour chaque être humain. C’est ce que les railleurs et les insolents pourront nommer une "philosophie de prisunic."


Le médiatique essayiste Pascal Bruckner développe une analyse semblable, qui relève d’ailleurs davantage d’espérances politiques que de l’observation du monde : "Il faut reconnaître dans le consumérisme et l’industrie du divertissement, une création collective extraordinaire sans équivalent dans l’histoire. Pour la première fois, les hommes effacent leurs barrières de classe, de race, de sexe pour se fondre en une seule foule prête à s’étourdir, à s’amuser sans compter… L’achat, la distraction, le vagabondage mental dans les espaces virtuels produisent une pénombre abrutissante peut-être mais si douce, si aimable qu’elle se confond pour nous avec la plus scintillante lumière." (2)


C’est un des rares passages un peu éloquents des livres de Pascal Bruckner, qui, il faut le dire, font toujours l’effet d’une soupe tiède un soir de grand froid à la campagne.


Pour Jacques Attali, la démocratie reste bien évidemment le cadre indispensable à la mise en place de la société ouverte, mais elle devra évoluer pour s’adapter aux besoins définis par le Nouvel Ordre mondial :


"En exacerbant la libre circulation des biens, des capitaux, des idées et des personnes, dit-il, le marché rompra les frontières dont la démocratie a besoin pour définir le territoire où s’exerce le droit de vote et où s’institue la République. Le droit international, sous la pression des entreprises, forcera les États à uniformiser leur droit fiscal et social au plus bas niveau possible, créant un monde adapté aux nomades, alors que la démocratie telle que définie jusqu’alors était conçue pour s’appliquer aux sédentaires… Le Marché s’étendra à des domaines où il est aujourd’hui interdit ou impensable : éducation, santé, justice, police, citoyenneté, air, eau, sang, organes à greffer auront un prix."


Ne voyons pas dans ces considérations économiques un rejet du marxisme. La mondialisation libérale a au contraire une dette à l’égard de l’idéologie marxiste, qui l’avait historiquement précédée dans la volonté de bâtir la société universelle. La mondialisation libérale est en train de réussir point par point là où le marxisme a échoué. Jacques Attali ne s’y trompe pas : "on reconnaîtra le marxisme, dit-il, comme l’une des formes les plus pertinentes d’analyse et de prévision de l’évolution des société humaines." Et le marxisme, il est vrai, est toujours très utile pour canaliser dans un sens planétarien l’esprit de révolte qui ne peut manquer de souffler dans une société libérale, qui ne propose à sa jeunesse que de déambuler dans les supermarchés.


Pierre Lévy reste là encore le plus enthousiaste des intellectuels planétariens, le plus échevelé, sans doute : "Ce que ni les grandes religions, ni l’instruction publique, ni la déclaration universelle des droits de l’homme, ni le simple bon sens n’avait réussi à construire – l’unité concrète de l’humanité – est en train de se réaliser par le commerce (3)… Le mouvement d’unification intellectuelle, culturelle et spirituelle de l’humanité, écrit-il, serait incompréhensible, incomplet, incohérent et tout simplement impossible s’il n’était doublé, accompagné, soutenu par le mouvement d’unification mondiale du marché capitaliste et par la croissance d’un immense technocosme interconnecté, interdépendant et planétaire, qui a trouvé dans le cyberespace son couronnement provisoire…"


"Nous ne savons déjà plus très bien quand nous travaillons et quand nous ne travaillons pas. Nous serons constamment occupés à faire du business. Toutes sortes de business… Même les salariés, qui demandent de plus en plus de rémunérations en actions, deviendront des entrepreneurs individuels, passant d’un employeur à l’autre, gérant leur carrière comme celle d’une petite entreprise… Plus universelle sera la pratique du commerce, plus il y aura de l’huile dans le moteur du business, moins il y aura de frottements (la violence, le pouvoir, le mensonge, le crime) dans la société, et plus augmentera la richesse générale. Car tout le monde travaillera coopérativement et compétitivement à produire de la "valeur"… [Par exemple : Comment est-il possible de travailler à la fois coopérativement et compétitivement ?] Le jeu consiste à inventer de nouveaux jeux avec les symboles. Beaucoup de bulles spéculatives particulières crèveront, mais la bulle spéculative de l’économie et de la finance mondiale ne crèvera jamais. Au contraire, elle enflera continuellement… Il n’y aura plus de différence entre la pensée et le business. L’argent récompensera les idées qui feront advenir le futur le plus fabuleux, le futur que nous déciderons d’acheter." (4)


Dans ce Nouvel Ordre mondial, "il n’y a plus de "famille" ni de "nation" qui tiennent : on divorce, on émigre, on change de région ou d’entreprise… Consommons donc afin d’orienter le développement humain plutôt que pour nous chercher une identité." (5)


"Le cyberespace se trouve aujourd’hui à l’épicentre de la boucle autocréatrice de l’intelligence collective de l’humanité ", écrit encore Pierre Lévy." Le processus de déconditionnement et d’ouverture de l’esprit humain prendra plusieurs décennies avant de se réaliser, mais il est inéluctable. Il nous revient de le retarder le moins possible." (6) Dans le schéma marxiste, c’était la " société sans classe " qui devait être "inéluctable".


C’est cette analogie qui peut nous laisser un peu circonspects, si l’on considère les "dommages collatéraux" qui semblent accompagner ce type de prophéties.


(1) C’est la singulière conclusion d’un livre sur la philosophie de Charles Péguy : Alain Finkielkraut, Le Mécontemporain, Gallimard, 1991. On notera que quel que soit le sujet de l’ouvrage, la conclusion est un appel à l’universalisme.

(2) Pascal Bruckner, La Tentation de l’innocence, Grasset, 1995, p. 76.

(3) Pierre Lévy, World philosophie, Odile Jacob, 2000, p. 61.

(4) Ibidem, p. 100.

(5) Ibidem, pp. 83, 132.

(6) Pierre Lévy, World philosophie, pp. 53, 120, 123.



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7 novembre 2006

Le gouvernement mondial


Les aspirations à instaurer un gouvernement mondial trouvent leur justification première dans le désir de paix universelle. A cet égard, Julien Benda, pionnier dans son genre, traduit bien certaines aspirations mondialistes de l’entre-deux guerres. Dans La Trahison des clercs, il envisage lui aussi, dans sa conclusion, la fusion des peuples avec un enthousiasme prophétique très caractéristique : "La volonté de se poser comme distinct serait transposée de la nation à l’espèce. Et, de fait, un tel mouvement existe. Il existe, par-dessus les classes et les nations, une volonté de l’espèce de se rendre maîtresse des choses. On peut penser qu’un tel mouvement s’affirmera de plus en plus et que c’est par cette voie que s’éteindront les guerres interhumaines. On arrivera ainsi à une "fraternité universelle" et dès lors, unifiée en une immense armée, en une immense usine, l’humanité atteindra à de grandes choses, je veux dire à une mainmise vraiment grandiose sur la matière qui l’environne, à une conscience vraiment joyeuse de sa puissance et de sa grandeur (1)."


Après l’anthropologie, la génétique et l’écologie planétariennes, le pacifisme milite donc aussi pour la grande cause de l’unification mondiale. Julien Benda deviendra après la guerre un compagnon de route du Parti communiste. Ses idées généreuses ne l’empêcheront pas de justifier l’écrasement de l’insurrection hongroise et les procès qui s’ensuivirent.


Le très célèbre savant Albert Einstein a été l’un des premiers personnages de l’époque contemporaine, peut-être même le premier, à revendiquer explicitement l’instauration d’un gouvernement mondial. C’est peut-être l’une des raisons qui lui vaut une telle adulation, car nous verrons un peu plus bas dans ce livre que son aura scientifique a été légèrement entachée depuis peu.


Après la guerre, en novembre 1945, il publie un article dans la revue Atlantic Monthly : "Puisque pour l’instant, écrit-il, seuls les États-Unis et la Grande-Bretagne possèdent le secret de la bombe atomique, il reviendrait naturellement à ces pays d’inviter l’Union soviétique à préparer et présenter le premier projet de constitution d’un gouvernement mondial… Une fois le projet de constitution adopté par les trois grands, les nations plus petites seraient invitées à se joindre à ce gouvernement mondial… Un gouvernement mondial tel que je le conçois devrait être compétent pour juger de toute affaire militaire. Outre cette compétence, je ne lui donnerais qu’un seul pouvoir, celui de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un État dans le cas où une minorité opprimerait la majorité des hommes du pays, créant ainsi un climat d’instabilité pouvant conduire à une guerre." "Même s’il est vrai que c’est une minorité qui est actuellement à la tête de l’Union Soviétique, je ne pense pas que la situation interne de ce pays constitue une menace pour la paix dans le monde", tient-il à ajouter avec un certain aplomb. Dans un article paru dans le Survey Graphic du mois de janvier 1946, il écrit encore : " Le désir de paix de l’humanité ne pourra se réaliser que par la création d’un gouvernement mondial (2)."


Le sociologue Edgar Morin souhaite lui aussi l’instauration d’un gouvernement mondial. Il se défend cependant de promouvoir le paternalisme ou de vouloir instaurer un quelconque racisme à l’égard des populations du Sud. Car selon lui, c’est bien l’Occident qui est en charge de ces grandioses réalisations. C’est là que se trouve le développement technologique et la puissance qui va permettre d’imposer ces perspectives au reste de l’humanité. Le bonheur des terriens passe nécessairement par un stade où les peuples du Sud doivent, de gré ou de force, se ranger à l’idée de la démocratie universelle, et pareils projets justifient sans doute un "droit d’ingérence" : "L’association humaine à laquelle nous aspirons, dit Edgar Morin, ne saurait se fonder sur le modèle hégémonique de l’homme blanc, adulte, technicien, occidental ; elle doit au contraire révéler et réveiller les ferments civilisationnels féminins, juvéniles, séniles, multi-ethniques, multi-culturels." Il ne s’agit donc pas de promouvoir une quelconque domination de l’homme blanc, mais simplement d’utiliser ses technologies et sa puissance militaire pour briser les régimes autoritaires et assurer le triomphe mondial de la démocratie. L’Occident, en quelque sorte, sera le laboratoire où se déroulera l’expérience multiculurelle, en même temps qu’il sera le garant du Nouvel Ordre mondial. "On ne saurait se masquer les obstacles énormes qui s’opposent à l’apparition d’une société-monde, dit-il. La progression unificatrice de la globalisation suscite des résistances nationales, ethniques, religieuses, qui produisent une balkanisation accrue de la planète, et l’élimination de ces résistances, supposerait, dans les conditions actuelles, une domination implacable (3)."


Dans son Dictionnaire du XXIe siècle, Jacques Attali fait aussi sienne l’idée d’un droit d’ingérence : "Dans un monde globalisé, connecté, écrit-il, chacun aura intérêt à ce que son voisin ne sombre pas dans la barbarie. Ainsi s’amorcera une démocratie sans frontière." Selon lui, le Nouvel Ordre mondial doit pouvoir exercer le cas échéant une "domination implacable" comme l’a suggéré Edgar Morin avec quelque réticence. Les "institutions internationales", dit-il, verront leurs compétences considérablement renforcées : "La prévention des conflits et des guerres impliquera qu’une autorité planétaire dresse l’inventaire des menaces, alerte les institutions financières, supervise les négociations entre pays, vérifie l’application des accords, décrète des sanctions en cas de violations." "Une organisation de la paix universelle commencera à être envisagée avec les premières discussions en vue de l’instauration d’un gouvernement mondial." On parlera moins d’un droit d’ingérence que d’un "devoir d’ingérence". La "mondialisation" aboutira finalement à son terme : "Après la mise en place d’institutions continentales européennes, apparaîtra peut-être l’urgente nécessité d’un gouvernement mondial." Hervé RYSSEN


(1) Julien Benda, La Trahison des clercs, Grasset, 1927, 1975, p. 295.

(2) Albert Einstein, Le Pouvoir nu, Propos sur la guerre et la paix, Hermann, 1991.

(3) Edgar Morin, La Méthode 6, Ethique, Seuil 2004. Chapitre : éthique planétaire.



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3 novembre 2006

Citoyens du monde - Les prophètes du mondialisme


Voici un extrait des Espérances planétariennes : Le discours planétarien, semble-t-il, n’a jamais été aussi omniprésent que depuis l’écroulement du bloc communiste. Alors qu’auparavant, ces idées étaient principalement véhiculées par la pensée issue de mai 1968 et le marxisme en général, il est aujourd’hui surtout le fait d’une génération d’intellectuels anciennement marxistes, mais ralliés à la démocratie libérale et à l’économie de marché. Jacques Attali, en France, en est évidemment l’un des exemples les plus accomplis, tant par la profusion de sa production imprimée que par le développement de ses idées et les fonctions éminentes qu’il a occupées à la tête de l’Etat français. Edgar Morin, Alain Finkielkraut, Albert Jacquard, Guy Sorman, Marek Halter, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Alain Minc et Pascal Bruckner sont les principaux représentants de cette pensée cosmopolite qui marque tant la France d’aujourd’hui. Fervents démocrates, leur pensée n’en reste pas moins toute imprégnée des mêmes idéaux planétariens que ceux de la pensée marxiste. Sur ce plan, aucune différence n’est décelable. Les uns et les autres aspirent au gouvernement mondial, à la suppression des frontières et au mélange des peuples et des civilisations, au moins en Occident. Le très célèbre philosophe Jacques Derrida, décédé durant l’été 2004 est, pour sa part, resté fidèle à ses convictions marxistes jusqu’à son dernier jour, mais sa pensée s’intègre parfaitement à celle de ses confrères démocrates. Les uns et les autres ont d’ailleurs conservé la marque de l’influence du freudo-marxisme.


A travers Wilhelm Reich, Herbert Marcuse et le responsable étudiant Daniel Cohn-Bendit, le courant freudo-marxiste a eu une importance considérable au cours des événements de mai 1968. Son influence est encore perceptible dans la génération des intellectuels d’aujourd’hui. La frontière entre le marxisme et la pensée démocratique est floue, mouvante et perméable. Albert Einstein était aux marges des deux. Jacques Attali, qui était le principal conseiller du président socialiste François Mitterrand dans les années 1980, et qui est un des principaux propagandistes de l’idée planétarienne, présente une pensée qui mélange elle aussi freudo-marxisme culturel et libéralisme économique. L’homme a d’ailleurs été par la suite l’ancien directeur de la Banque européenne de développement.


La question est de savoir si l’idéologie libérale se serait acheminée vers l’idéal planétarien sans le concours des idées marxistes. Certes, l’idée de globalisation est déjà présente dans la philosophie des Lumières, mais à dose restreinte, et nul ne songe alors à la fusion des nations. En revanche, la pensée marxiste développe largement ce thème, symbolisé par le fameux slogan : "Travailleurs de tous les pays, unissez-vous". Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, la pensée libérale reprend à nouveau le dessus dans la surenchère planétarienne. Cette fois-ci, il ne suffit plus seulement de mettre sur pied le gouvernement mondial, mais aussi d’encourager le grand métissage et le déracinement universel. Le marxisme n’était pas allé aussi loin. Les deux courants d’idées sont aujourd’hui largement entremêlés, si bien qu’il n’est plus guère possible, dans la pensée planétarienne, de distinguer ce qui lui est spécifiquement marxiste ou libéral.


Citoyens du monde


Quand les jeunes se déclarent volontiers "citoyens du monde" dans la cour du lycée, on peut penser légitimement que leurs convictions ne sont pas le fruit de profondes réflexions sur leur condition, mais simplement le résultat des campagnes de "sensibilisation" médiatique. Dans les débats télévisés ou dans les livres, par le biais du cinéma, de la presse et de la radio, le concept de citoyenneté mondiale est inlassablement ressassé, si bien qu’il est nécessaire de se modeler sa propre culture personnelle pour tenter de sortir des sentiers battus, comprendre le discours ambiant et décrypter les messages codés.


Le célèbre sociologue Albert Jacquard fait partie de ces intellectuels qui portent un regard résolument planétarien sur le monde. Il n’est pas né dans un modeste village d’Auvergne ou de Bretagne, non : "Je suis né sur une planète portant deux milliards d’hommes", tient-il à nous dire d’emblée, dès la première page de son dictionnaire. Lui aussi ne rêve que d’harmonie, de fraternité universelle et de paix pour le genre humain. L’homme le plus heureux n’est pas celui qui se renferme frileusement sur sa famille, ses amis et son village, mais celui qui s’ouvre à toutes les cultures du monde, qui cherche le contact avec l’homme des autres continents

[Et en effet, ceci est vrai : Il est bon de s'ouvrir aux autres cultures. Ce fait est indiscutable et ne doit pas être confondu avec la destruction des identités qui s'opère actuellement sous couvert de fraternité universelle] : "Tout humain que j’exclus des liens que je tisse est une source dont je me prive. Le rêve est donc de n’exclure personne."


C’est dans cette perspective qu’il faut se déclarer parmi les "citoyens du monde", à la suite de l’Américain Gary Davis qui, en 1947, avait déchiré son passeport pour marquer son désir de voir disparaître toutes les frontières. A cette époque, le ministre Georges Bidault s’était écrié : "Les frontières sont les cicatrices de l’histoire" ; or, ajoute Albert Jacquard avec beaucoup de jugement et d’à-propos, "les cicatrices sont faites pour disparaître."


Une "communauté des peuples de la Méditerranée" serait un premier pas vers "l’unification du monde." C’est une communauté culturelle méditerranéenne qu’il faut construire " insiste-t-il encore dans un autre ouvrage. L’idée en effet est récurrente dans son œuvre. Ce serait, dit-il, "un exercice permettant de mieux organiser ensuite la communauté de l’ensemble des nations."


Le très prolifique essayiste Jacques Attali abonde évidement dans ce sens. Son Dictionnaire du XXIe siècle révèle un grand visionnaire et un prodigieux créateur d’idées. L’avenir de l’humanité n’a pas de secret pour ce prophète : La mondialisation, dit-il, se poursuivra, s’accélérera et s’imposera grâce aux institutions internationales : "S’éveillera une conscience de l’unité planétaire, grâce à quoi les organisations internationales trouveront les moyens de leurs rôles ; l’ONU édictera les normes et fera respecter des devoirs ; une police mondiale s’installera dans les zones de non-droit ; le FMI, chargé de lever et de répartir un impôt mondial sur les transactions internationales, régulera des marchés financiers qui auront cessé d’être des lieux et des agents de panique pour se mettre au service de la réduction des injustices."


C’est en fait là un scénario idéal, un objectif à atteindre ou au moins une étape vers l’instauration d’un gouvernement mondial, mais, dit-il, "mille perturbations viendront troubler le cours de ce fleuve tranquille." En attendant l’avènement d’un monde meilleur, nous sommes invités à acquérir les bons réflexes pour nous approcher un peu plus du paradis terrestre qui est à notre portée : "Ce qui serait à faire pour éviter le pire est simple à énoncer : mettre les sciences et la technologie au service de la justice ; profiter de leur formidable potentiel pour supprimer toute pauvreté, casser les systèmes hiérarchiques et repenser la démocratie ; encourager la diversité, partager les richesses, favoriser la santé et l’éducation, éliminer les dépenses d’armement, s’ouvrir aux cultures des autres, favoriser tous les métissages, apprendre à penser globalement."


Dans cette nouvelle forme de civilisation, l’"hyperclasse" sera la classe dominante. Elle sera "faite d’élites mobiles et transparentes entraînant la société entière vers l’utopie de la Fraternité. Elle regroupera plusieurs dizaines de millions d’individus. Ils seront attachés à la liberté, aux droits des citoyens, à l’économie de marché, au libéralisme, à l’esprit démocratique. Ils cultiveront et développeront une conscience aiguë des enjeux planétaires."


Ces prophéties ne reflètent évidemment rien d’autre que des intentions et des convictions personnelles. Elles ont en tout cas le mérite d’être énoncées clairement par un homme qui a joué un rôle important dans la France de la fin du XXe siècle.


Parmi tous les penseurs planétariens de ce début de millénaire, il en est un dont l’enthousiasme dépasse encore celui de Jacques Attali. Le livre de Pierre Lévy, World Philosophie, est une ode à l’unification planétaire, déclamée sur un mode prophétique, aux marges de la transe divinatoire. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, c’est l’oracle qui parle : "Désormais, la grande aventure du monde n’est plus celle de pays, de nations, de religions ou d’ismes quelconques, dit-il ; la grande aventure est l’aventure de l’humanité, l’aventure de l’espèce la plus intelligente de l’univers connu. Cette espèce n’est pas encore complètement civilisée. Elle n’a pas pris encore intégralement conscience qu’elle ne formait qu’une seule société intelligente. Mais l’unité de l’humanité est en train de se faire, maintenant. Après tant d’efforts, voici enfin venue l’unification de l’humanité." Il faut bien comprendre le propos : Beethoven, Molière, Botticelli et Van Gogh ne sont que de la boue en comparaison de ce que pourra produire l’humanité enfin unie qui est en train de prendre corps.


Pour nous, les humains de l’an 2000, "nos compatriotes sont partout sur la Terre. Nous sommes la première génération de gens qui existons à l’échelle du globe", poursuit-il. "La fin du XXe siècle marque un seuil décisif et irréversible du processus d’unification planétaire de l’espèce humaine." Le monde dans lequel vous avez vécu jusqu’à présent est en train de mourir. Ne luttez pas, ne luttez plus. Laissez vous faire, laissez-vous guider. Vos membres sont lourds, très lourds. Laissez-vous envahir par cet engourdissement bienfaisant… "Nous allons comprendre que l’Orient et l’Occident sont promis au mariage, et qu’ils s’augmenteront l’un de l’autre. A ce moment-là, seulement, l’humanité deviendra une avec elle-même" ; "Regardez les Juifs : une pointe d’Orient en Occident, une goutte d’Occident en Orient" ; "L’humanité est un grand tapis de perles scintillantes où circulent des formes lumineuses" ; "nous sommes les fils et les filles de tous les poètes. Tous les efforts humains pour élargir notre conscience convergent dans une noosphère qui, désormais, nous habite, parce qu’elle est l’objectivisation de la conscience et de l’intelligence collective de l’humanité." Laissez-vous aller, laissez-vous faire… Vous dormez profondément maintenant. "Nous n’avons pas d’ennemis : nous sommes une pluie de diamants où joue la lumière des mondes." [Nos vies sont entre les mains de ces fous]


Michel Serres n’a certes pas le talent lyrique de Pierre Lévy ; il s’en faut de beaucoup. Sa langue est extrêmement confuse, ce qui ne laisse pas d’étonner pour ce scientifique qui siège à l’Académie française. Nous nous bornerons donc à citer de courtes phrases, tant sa prose est caillouteuse et souvent à la limite de l’intelligible. On perçoit cependant ça et là que l’écrivain est imprégné de la même démarche planétarienne quand il fustige par exemple les "absurdités aussi désuètes que les frontières entre nations".


"Sans terre ni tribu, nous voilà citoyens du monde et frères des hommes", écrit-il encore. Mais de nombreux passages de ses livres sont tout simplement illisibles, voire totalement incohérents, comme le révèle ce propos, pris parmi d’autres : "La souche familiale délaisse le sang au profit de l’adoption et d’un prolongement de la famille, désormais de choix dilectif, vers l’humanité en général. Tout homme a droit de se sentir partout chez soi et auprès de tous en famille. L’Occident advint de quitter le local et de porter en gésine cet universel." Sous la plume d’un académicien, de telles phrases sont assez singulières. Détail amusant : le visage de Michel Serres ressemble étonnamment à celui de l’écrivain italien Alberto Moravia, qui professe lui aussi de belles et nobles idées planétariennes. Même plumage, même ramage, comme dirait ce bon monsieur de La Fontaine.


"Voici l’homme enfin humain parce que enfin universel", s’enthousiasme le grand philosophe Alain Finkielkraut. "La communication et la connexion généralisées ayant effacé – miraculeux lifting – les rides que les frontières avaient sculptées sur le visage de l’humanité, l’appartenance subie s’efface au profit de la relation choisie : chacun peut donner n’importe quel prénom de la terre à son enfant, se brancher, sans quitter sa chambre, sur n’importe quel divertissement, accéder aux catastrophes en direct, explorer les plus lointaines cultures, débouler sans prévenir dans tous les lieux de mémoire, faire, en charentaises, du lèche-vitrines aux antipodes et naviguer à sa guise dans les banques de données du grand mélange mondial que sont devenues les traditions." Finkielkraut traduit sans doute mieux ici ses propres aspirations que la réalité, mais sa pensée éclaire la voie que nous trace la philosophie politique contemporaine.


Alain Finkielkraut est cependant bien conscient que cet esprit révolutionnaire qui tend à "faire table rase du passé" et à "créer un homme nouveau" a été déjà mis en pratique dans l’URSS de Lénine et de Staline. A ce moment-là, dit-il, l’URSS "incarnait cette apothéose face aux patries chauvines." Elle représentait "la patrie de l’humanité" et périmait la "scission de l’humanité entre compatriotes et étrangers." Le marxisme avait attiré à lui tous les esprits brûlant de messianisme égalitaire, et ne laissait qu’un espace assez étroit à une autre idée de l’unification planétaire, mais il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, la filiation idéologique au marxisme n’est plus réellement porteuse, après l’effondrement de ce système et les horreurs que l’on sait. C’est donc auprès d’autres intellectuels qu’il faut chercher ses références et son cousinage.


Julien Benda était peut-être, dans l’entre-deux guerres, le seul représentant en France d’un esprit planétarien mais non marxiste, et c’est auprès de lui qu’Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy trouvent leur référence idéologique. Dans la Trahison des clercs, écrit Finkielkraut, Julien Benda exalte "les idées des Lumières contre le Romantisme, prend la défense de l’universel contre la glorification du particulier, affirme la liberté de l’esprit contre l’enracinement de l’homme dans le sol de sa patrie, de l’esprit dans la tradition, de l’action dans les mœurs, et de la pensée dans la langue."


C’est auprès de cet intellectuel de renom, "grand desservant de l’Esprit" qu’il faut aller chercher les éléments porteurs de la nouvelle civilisation. Dans le Discours à la nation européenne qu’il rédigea an 1932, il était le seul des penseurs non-marxistes à déclamer le discours globaliste qui sera en vogue à la fin du siècle : "Clercs de tous les pays, vous devez être ceux qui clament à vos nations qu’elles sont perpétuellement dans le mal, du seul fait qu’elles sont des nations. Plotin rougissait d’avoir un corps. Vous devez être ceux qui rougissent d’avoir une nation." Le genre est un peu celui d’un instituteur, mais au moins, la leçon a le mérite d’être claire.


La suppression des frontières et le mélange des peuples sont un idéal à atteindre, mais la société ouverte ne sera viable qu’à la condition d’annihiler les instincts de race et les particularismes locaux. Les races pures doivent être mélangées afin de dissoudre les sentiments identitaires, susceptibles d’engendrer des résurgences de nationalisme. Les langues elles-mêmes devraient disparaître au profit d’une langue commune. C’était déjà toute l’ambition d’un homme comme Louis Lazare Zamenhof. Jeune lycéen de la bourgeoisie polonaise cultivée, il s’était consacré très tôt à travailler à l’élaboration d’une langue comprise par tous, à partir des racines courantes des langues les plus répandues. Ce travail aboutira à la publication, en 1887, de l’ouvrage capital fondant l’Espéranto, Fundamento de Esperanto. Zamenhof s’y expliquait : "Les hommes sont égaux : ce sont des créatures de la même espèce. Ils ont tous un cœur, un cerveau, des organes générateurs, un idéal et des besoins ; seules la langue et la nationalité les différencient… Si je n’étais pas un Juif du ghetto, l’idée d’unir l’humanité ou bien ne m’aurait pas effleuré l’esprit, ou bien ne m’aurait pas obsédé si obstinément pendant toute ma vie. Personne ne peut ressentir la nécessité d’une langue humainement neutre et anationale aussi fort qu’un Juif qui a des compagnons de souffrance sur toute la terre avec lesquels il ne peut se comprendre. Ma judéité a été la cause principale pour laquelle, dès la plus tendre enfance, je me suis voué à une idée et à un rêve essentiel, au rêve d’unir l’humanité."



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23 octobre 2006

Les Espérances planétariennes (Introduction)


L'ouvrage comporte plus de sept cents notes de bas de pages, la plupart donnant les références précises des citations. Ces notes n'apparaissent pas ici.


L’idée d’un monde sans frontière et d’une humanité enfin unifiée n’est certes pas neuve. Ce qui est nouveau, en ce début de troisième millénaire, c’est que pour la première fois de leur histoire, les Occidentaux ont le sentiment que l’humanité tout entière s’est engagée résolument dans cette voie. La chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement du bloc soviétique ont sans doute été des facteurs importants dans cette prise de conscience de l’unification du monde et de l’accélération du processus à la fin du XXe siècle. De fait, c’est bien dans les années qui s’ensuivirent que ce que l’on a appelé la " mondialisation " est devenue l’objet d’un débat récurrent. Le triomphe de la démocratie sur le communisme semble avoir ouvert la porte d’une ère nouvelle, d’un " Nouvel Ordre mondial ", et paraît préparer l’ensemble des nations à une fusion planétaire devenue inéluctable.


Le monde bipolaire, qui avait caractérisé le court XXe siècle (1914-1991), laissait place provisoirement à un monde dominé par l’ " hyperpuissance " américaine, mais surtout, la démocratie paraissait s’imposer sur tous les continents et offrir à l’humanité la garantie d’un monde meilleur, au point que certains parlaient déjà de la " Fin de l’histoire " : la société de consommation et le commerce se substitueraient aux impérialismes et à l’instinct guerrier qui avaient jusqu’à présent marqué au fer rouge le destin de l’humanité. Dans un nouvel esprit de coopération, les nations se rapprocheraient et ne tarderaient pas à fusionner dans une république mondiale, seule garante d’une paix universelle.


La "Fin de l’histoire" telle qu’on nous l’avait prédite en 1992 avec le triomphe de la démocratie, ne paraît cependant plus à l’ordre du jour depuis la chute des deux tours, celles du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Mais au lieu de stopper la marche en avant de l’idéal démocratique, il semblerait au contraire que le spectaculaire événement ait précipité le cours de l’histoire. La machine s’est emballée, et les démocraties occidentales profitent du traumatisme pour étendre leur influence et accomplir leurs volontés avec une vigueur renouvelée. Les Etats-Unis s’imposent dans le monde par leur diplomatie, leurs forces armées, leurs incessantes manœuvres occultes qui aboutissent invariablement à des " grandes révolutions démocratiques " dans les pays pauvres, avec T-shirts colorés pour la foule et triomphe médiatique mondial pour l’heureux élu, tandis que les nations européennes se dissolvent dans un grand ensemble de plus en plus multiethnique, aux contours imprécis, préfigurant sans tarder ce que doit être le monde de demain : sans races et sans frontières.


Les Occidentaux qui font pression sur l’ensemble des pays en faveur de l’adoption d’un régime démocratique, n’insistent pas moins sur la nécessité absolue du respect des minorités et l’accueil des réfugiés, à tel point que la démocratie ne peut plus se concevoir que comme ensemble "multiculturel, multiethnique, multiracial". La fusion programmée des nations du monde, on l’a compris, passe par l’instauration de sociétés "plurielles", dans le cadre de la démocratie parlementaire. Les deux concepts sont aujourd’hui indissociables. Tel semble être le plan de montage de ces projets grandioses de mondialisation qui, une fois encore, naissent de la pensée et de la volonté occidentales.


Déjà, le monde d’hier, ce monde que l’on appelait " bipolaire " était surtout une vision de l’Occident. De nombreux pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud avaient certes été secoués par nos luttes idéologiques et avaient dû choisir leur camp entre Moscou et Washington, mais l’immense majorité de ces populations avaient conservé leurs modes de vie ancestraux et avaient vécu tout au long du siècle à la manière traditionnelle, sans avoir à choisir entre le système marxiste et l’économie de marché. Après la Seconde Guerre mondiale, on eut coutume de regrouper ces pays sous le terme générique de "tiers-monde", dans le sens de "troisième monde".


[nbp : L’expression changea de sens et désigna par la suite les pays pauvres, qu’il était d’usage à ce moment-là d’appeler également "pays sous-développés". Dans les années 90, on préféra le terme plus " politiquement correct " de " pays en voie de développement, puis, de "pays du Sud".]


Et ce troisième monde, précisément, n’était guère concerné par les querelles idéologiques générées par la pensée occidentale. Gardons-nous donc de pécher par occidentalo-centrisme.


Le concept de "mondialisation" est-il plus justifié aujourd’hui ? L’expression recouvre d’abord un phénomène économique. Il est certain que la multiplication des échanges internationaux, le développement d’un capitalisme mondial, les délocalisations d’entreprises et l’apparition des nouvelles technologies de la communication ont rapproché les économies du monde entier et accentué leur interdépendance. C’est dans cette acceptation économique que l’on peut à bon droit parler de "mondialisation". Celle-ci semble être la continuation d’un long processus qui a commencé au XVIe siècle, avec la découverte des nouveaux continents, et qui s’est poursuivi avec l’occidentalisation du monde au XIXe par le biais de la colonisation de l’Afrique et de l’Asie, mais aussi par le peuplement de l’Amérique du Nord et de l’Océanie. La mondialisation des idées (Darwin, le socialisme, le libéralisme) avait parachevé l’hégémonie de l’Europe d’avant 1914 sur le monde entier, hégémonie qu’elle a largement perdue à l’issue de deux guerres qui s’étaient elles aussi mondialisées.


Il ne faudrait pas croire cependant que l’évolution des économies du monde vers une plus grande unité soit un processus régulier, continu et forcément inéluctable. Les économistes s’accordent à penser que le monde n’est pas plus ouvert aujourd’hui qu’il ne l’était à la veille de la Première Guerre mondiale. En 1991, le niveau relatif d’exportation de capitaux était plus faible qu’en 1915. Quant aux multinationales, elles restent largement déterminées par leur ancrage national. Les firmes globales peuvent se compter sur les doigts d’une main. Pour George Soros – le fameux spéculateur international – l’émergence du capitalisme mondial s’est véritablement produite au cours des années 1970. En 1973, les pays producteurs de pétrole, regroupés au sein de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), augmentaient pour la première fois le prix du baril. " Ces pays ont connu soudain de gros excédents, alors que les pays importateurs ont dû financer d’importants déficits. Il revint aux banques commerciales de recycler les fonds. Les eurodollars furent inventés, et d’importants marchés off-shore se sont développés. "


Le sentiment diffus de la mondialisation est encore beaucoup plus récent. Ce n’est que depuis le milieu des années 1990 que les Européens éprouvent confusément le sentiment que le monde entier est entré dans une phase accélérée d’unification mondiale. Les nombreuses délocalisations d’entreprises dans les pays à main-d’œuvre bon marché et les pertes d’emplois ainsi occasionnées alimentent régulièrement le débat sur ce sujet. On peut ajouter à cela que la popularisation des voyages en avion, le développement du tourisme et des flux migratoires ont renforcé l’idée que le monde est devenu un "village global". Mais à la vérité, il ne s’agit ici plus que d’une image, car si le paysan d’antan traversait son village en charrette deux ou trois fois par jour, on admettra que seule une infime minorité des êtres humains sur cette terre aujourd’hui fréquente assidûment les aéroports internationaux. L’immense majorité de l’humanité reste encore enracinée à son aire civilisatrice, voire même à son propre village de naissance. Les possibilités que vous a offert la technologie internet ne vous ont pas donné pour autant de nouveaux amis à l’autre bout du monde. Le "village global" en question, loin d’être une réalité, est une perspective, une utopie mobilisatrice, et c’est précisément cette dimension idéologique qui caractérise le monde occidental aujourd’hui.


La mondialisation économique dont on parle tant depuis une dizaine d’années n’est pas le facteur primordial de cette conscience planétaire à l’ébauche. La "globalization", comme disent les anglophones, n’est pas seulement pour nous un phénomène économique dont nous prenons acte, mais une aspiration sourde à fondre les peuples de la terre dans un creuset unique, à supprimer les frontières et à instaurer le gouvernement mondial. Toute notre philosophie nous conduit dans cette voie : les libéraux réclament la libéralisation du commerce en même temps que l’adoption par tous les peuples du monde du système démocratique et de la "société ouverte", tandis que leurs "opposants" dits "altermondialistes" militent pour l’ouverture des frontières à tous les migrants et pour donner toujours davantage de pouvoirs aux instances internationales, supposées seules capables de régler les grands problèmes mondiaux, tels que la gestion des enjeux écologiques, "l’échange inégal" entre le " Nord " et le "Sud", et la faim dans le monde. C’est dans cette perspective planétarienne que nous voyons s’édifier sous nos yeux depuis peu cette société plurielle, multiethnique, multiculurelle, qui est l’étape obligée pour parvenir à la grande fraternité universelle désirée par les idéologues occidentaux. Celle-ci permet seule de dissoudre peu à peu les sociétés traditionnelles enracinées, qui sont les principaux obstacles à ces projets. Par le jeu démocratique de la loi du nombre, elle empêche toute réaction nationaliste dans la mesure où le poids des différentes minorités devient plus important que celui de l’ancienne majorité. En favorisant les métissages, elle sape les bases ethniques des peuples autochtones et supprime leurs réflexes identitaires. D’un autre côté, l’immigration – légale ou illégale – présente l’inestimable avantage pour les entrepreneurs de constituer un inépuisable réservoir de main d’œuvre bon marché. La société plurielle, on le voit, est dans ce domaine incomparablement plus efficace que la société soviétique, qui a montré ses limites après une expérience de plus de soixante-dix années, alors même que ses principes philosophiques étaient au départ les mêmes que ceux qui sous-tendent aujourd’hui la société libérale dans le domaine du respect de la personne humaine et de la fraternité planétaire.


L’édification des sociétés plurielles en Europe est incontestablement le phénomène majeur de la fin du XXe siècle, pour ne pas dire de toute l’histoire européenne depuis 3000 ans. Le fait que les peuples d’Occident soient les seuls à s’être avancés dans cette voie est tout à fait symptomatique du cheminement de l’idée planétarienne dans les esprits au cours de ces dernières décennies. Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui dans les grandes villes françaises n’est plus le même qu’il y a vingt ans : la société multiethnique prend corps sous nos yeux d’une manière stupéfiante, sans lien véritable avec les mutations économiques récentes. Le Japon, par exemple, dont l’économie est tout autant mondialisée que la nôtre, n’est guère aspiré par ce maelström idéologique. C’est parce que ce n’est pas un phénomène naturel, mais la réalisation d’un objectif politique très caractéristique de la pensée occidentale.


Ces espérances planétariennes qui travaillent en profondeur les esprits occidentaux ne sont pourtant pas apparues subitement avec la chute du mur de Berlin et la victoire des démocraties, mais il est certain qu’elles ont connu depuis lors un regain de vigueur. Un intellectuel comme Jean-François Revel, qui pouvait, en 1983, prédire la disparition de nos démocraties, "minces et précaires parenthèses à la surface de l’Histoire" et la victoire "probable, pour ne pas dire inéluctable" du communisme, peut faire sourire rétrospectivement, au regard de l’évolution fulgurante du monde en quelques années. Il est vrai que son pessimisme pouvait s’expliquer par la conjoncture de l’époque : la stagnation de la résistance afghane contre l’URSS, la répression accrue en Pologne, la complaisance des gouvernements occidentaux. Dix années plus tard, dans La Fin de l’histoire et le dernier homme, un essai publié aux Etats-Unis en 1992 et largement traduit dans le monde, Francis Fukuyama annonce le triomphe des démocraties libérales, dans une "perspective mondialiste", comme indiqué en couverture, et rien moins que "la fin de l’Histoire".


[nbp : Nous préférons utiliser pour notre part le terme "planétarien", non pas par goût du néologisme, ce qui est toujours délicat à manier, et surtout en titre d’ouvrage, mais parce que le mot "mondialiste", nous semble-t-il, revêt aujourd’hui un aspect idéologique. Son usage a changé au cours de ces dernières années : la gauche radicale, qui se disait mondialiste jusque dans les années 98-99, s’est revendiquée de l’antimondialisme par la suite, puis de l’ "altermondialisme" en 2003. Le drapeau "antimondialiste" a alors été conservé par les nationalistes, et le terme même de "mondialiste" semble parfois revêtir une connotation insultante, en France, à tout le moins.]


Constatant la victoire des régimes démocratiques un peu partout dans le monde, cet auteur américain écrit ceci : "Si les sociétés humaines à travers les siècles évoluent ou convergent vers une forme unique d’organisation sociopolitique comme la démocratie libérale, s’il n’apparaît point d’alternative viable à la démocratie libérale, et si les gens qui vivent dans les démocraties libérales n’expriment aucun mécontentement radical à propos de leur vie, on peut dire que le dialogue a atteint une conclusion finale et définitive. Le philosophe historien doit être contraint d’accepter la supériorité et la finalité que la démocratie libérale revendique pour elle-même." Selon Fukuyama, l’Etat libéral doit être " universel ", mais l’auteur n’entend par là que la reconnaissance accordée par chaque Etat à tous ses citoyens, sans discriminations d’aucune sorte. Nulle part dans son essai n’est évoquée l’aspiration à un Etat mondial, à un gouvernement mondial, même s’il est sous-entendu que les institutions internationales prendront en charge les destinées de l’humanité. Il constate simplement que les "forces économiques favorisent maintenant l’abolition des barrières nationales par la création d’un marché mondial unique et intégré", mais il n’envisage pas la destruction des nations et la disparition des Etats. Seul le nationalisme agressif devra disparaître avec la victoire du modèle libéral : "Le fait que la neutralisation politique finale du nationalisme ne puisse intervenir ni à notre génération ni même à la suivante n’affecte pas la perspective bien réelle de la fin de celui-ci."


Cet idéal de paix universelle qui accompagne le credo démocratique, comme il accompagnait le credo communiste, soulève tout de même des interrogations, car, dit-il, "les êtres humains se révolteront à cette pensée, à l’idée d’être les membres indifférenciés d’un Etat universel et homogène, chacun étant le même que l’autre, quel que soit l’endroit du globe où l’on aille." C’est là le seul passage, dans les 380 pages très serrées de son livre, où est évoquée l’éventualité d’un Etat mondial, et cette considération est immédiatement suivie par des considérations de bon sens sur "l’ennui" que ce Nouvel Ordre mondial pourra susciter. Les nouveaux citoyens du monde trouveront en effet que la vie de consommateur est en fin de compte " lassante " ;

[nbp : L’expression "Nouvel Ordre mondial" est du président américain George Bush père, qui s’apprêtait à faire bombarder l’Irak de Saddam Hussein en 1991. Le Nouvel Ordre mondial est censé remplacer l’ère de la confrontation Est-Ouest après l’effondrement du système communiste.]


"ils voudront avoir des idéaux, au nom de quoi vivre et mourir, et ils voudront aussi risquer leur vie, même si le système international des Etats à réussi à abolir toute possibilité de guerre." Les étudiants de mai 1968, par exemple, " n’avaient pas de raisons rationnelles de se révolter, parce qu’ils étaient pour la plupart des rejetons choyés de l’une des sociétés les plus libres et les plus prospères de la terre. " Là est " la contradiction que la démocratie libérale n’a pas encore résolue. " L’essai de Francis Fukuyama est finalement assez timoré ; certains intellectuels, nous allons le voir, avancent beaucoup plus gaillardement dans cette perspective planétarienne.


Ces concepts en tout cas ne sont pas neufs ; ils poursuivent sous une nouvelle forme des idées déjà émises notamment dans la philosophie des Lumières du XVIIIe siècle. Tocqueville annonçait en 1848 "l’avènement prochain, irrésistible, universel de la démocratie dans le monde." Avant lui, Kant, le philosophe solitaire, envisage déjà en 1784, d’établir " un état cosmopolitique de sécurité publique entre les Etats " pour qu’ils ne "s’entredéchirent pas". Le philosophe de Königsberg nourrissait de surcroît "l’espoir qu’enfin un jour, après maintes révolutions et transformations, se réalise le dessein suprême de la nature : un Etat cosmopolitique universel, tel qu’en son sein, toutes les dispositions originaires de l’espèce humaine seront développées." Cependant, les hommes du XVIIIe siècle étaient bien trop imbus de préjugés raciaux pour envisager la société plurielle, multiethnique et multiculturelle, telle que l’entendent nos modernes philosophes planétariens. La vérité est que l’anthropologie selon Buffon, Maupertuis, Diderot, d’Alembert ou Voltaire, reste à jamais un sujet sur lequel il vaut mieux ne pas s’étendre, si l’on souhaite conserver les grands ancêtres dans le panthéon de la démocratie.


D’autre part, si le terme d’ " humanité " était à la mode dans la philosophie des Lumières, la référence à la nation ne l’était pas moins, et les deux termes allaient presque toujours de pair. Le " dévouement à l’humanité et à la patrie " faisait partie de la phraséologie de l’époque ; de surcroît, le terme d’ "humanité" avait peut-être un sens plus restreint qu’aujourd’hui, et dans le langage courant, il ne signifiait souvent guère autre chose que "les gens". Il est certain que les philosophes de cette époque ne pensaient pas encore concrètement au grand métissage universel et au "village global". On sait à quel point les hommes de la révolution française étaient furieusement patriotes en plus d’être humanistes. Babeuf, cet ancêtre du socialisme, est un fervent "défenseur de la patrie" : "Il n’appartient de fonder une république véritable, dit-il, qu’aux amis désintéressés de l’humanité et de la patrie". Bien que la philosophie qui sous-tendait leur combat fût humaniste, les soldats de l’An II n’avaient cure de la fraternité universelle, et il leur importait davantage de détruire les régimes des "tyrans" en Europe que d’envisager la fusion des peuples. La "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen" illustre parfaitement ce propos, puisqu’elle comprend bien le terme "citoyen" en plus de celui d’ "homme" indifférencié : c’est dire qu’on entendait par là tous les Français, qui étaient maintenant tous égaux en droit, et c’est surtout en ce sens que l’on comprenait alors l’ " universel ". Dans la toute nouvelle république, les étrangers, quant à eux, restaient étroitement surveillés.


L’idée d’une "fin de l’histoire" soulevée par Francis Fukuyama n’est pas nouvelle non plus. Hegel avait déjà défini l’histoire comme la progression de l’homme vers de plus hauts niveaux de rationalisme et de liberté. Ce processus, selon lui, avait un point final logique dans l’Etat libéral moderne, qui était apparu à la suite de la déclaration d’indépendance américaine en 1776 et de la Révolution française. Marx partageait également la croyance en la possibilité d’une fin de l’histoire.


Pour les marxistes, les classes sociales disparaîtront aussi inévitablement qu’elles s’étaient formées jadis, et l’Etat disparaîtra par la même occasion. "La société, dit Engels, que la production réorganisera sur la base d’une association libre et égale des producteurs, enverra l’appareil de l’Etat là où est sa place, au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze. " Il n’en reste pas moins qu’une phase transitoire de dictature reste indispensable : le prolétariat s’emparera du pouvoir de l’Etat et transformera les moyens de production " provisoirement " en propriété de l’Etat. L’appareil d’Etat capitaliste, la police capitaliste, le fonctionnarisme capitaliste, la bureaucratie capitaliste seront remplacés par l’appareil du pouvoir du prolétariat, mais sans les antagonismes de classes ; ainsi, l’Etat prolétarien dépérira de lui-même, naturellement.


Contrairement à d’autres formes de socialisme du XIXe siècle, le socialisme de Marx avait forcément une vocation universelle. Selon lui, un processus historique emporte malgré lui le capitalisme vers sa mondialisation et tend de toute façon vers l’instauration d’un marché mondial dans lequel s’effaceront les frontières et disparaîtront les différentes nationalités. Les prolétaires ne pourront alors se considérer que comme des individus abstraits, sans attache, ce qui rendra possible le saut dans le paradis sans classe que sera la société communiste. Ce prolétariat universalisé, sans nationalité, deviendra alors une sorte de nation universelle, édifiée sur les décombres des vieilles nations et des particularismes.


De fait, c’est d’abord avec le marxisme qu’est apparu le messianisme planétarien à l’époque contemporaine. Les propos de Boukharine au moment de la révolution bolchevique de 1917 sont à ce sujet particulièrement éloquents : " Une époque nouvelle est née, dit-il. L’époque de la disparition du capitalisme, de sa décomposition interne, l’époque de la révolution communiste du prolétariat. Elle devra briser la domination du capital, rendre les guerres impossibles, détruire les frontières des Etats, transformer le monde entier en une communauté œuvrant pour elle-même, accomplir la fraternisation et la libération des peuples." Ce sont là les lignes directrices de l’Internationale communiste, mais chacun aura pu noter les étranges similitudes avec les propos des penseurs libéraux. Seules leurs conceptions économiques les différencient : les premiers pensaient que la collectivisation libérerait le prolétariat de l’exploitation de la bourgeoisie, tandis que les seconds ont pris la mesure de l’échec de la société collectiviste. Pour le reste, on ne peut qu’être frappé de constater à quel point les objectifs marxistes sont similaires à ceux des penseurs planétariens d’aujourd’hui, et jusque dans la croyance au caractère inéluctable de l’unification et de la fin de l’histoire. Le monde évolue inévitablement vers l’accomplissement de son destin, qui est l’unification finale, et rien au monde ne peut empêcher ce processus. C’est une idée récurrente du discours planétarien, et nous verrons que cette indéracinable croyance est fortement liée à une foi religieuse.


La conjonction des vues s’explique aussi aisément du fait que les uns et les autres puisent leur vision du monde à la même source – la philosophie des Lumières – qui constitue la référence obligée des penseurs marxistes et surtout libéraux. Il a simplement fallu la réactualiser, l’adapter aux réalités. Au XIXe siècle, avec la révolution industrielle, elle était devenue un peu poussiéreuse et ne paraissait plus du tout pouvoir soulever l’enthousiasme ni des masses ouvrières, qui ont surtout eu à pâtir de la société bourgeoise libérale, ni de la jeunesse européenne, qui avait fait ses révolutions de libération nationale en Europe tout au long du siècle, et qui aspirait maintenant à jeter bas la "vile bourgeoisie". C’est donc d’abord le marxisme qui a repris le flambeau de la fraternité universelle en même temps que celui de l’égalité sociale, tandis que l’esprit démocratique se fourvoyait dans le patriotisme, facilitant le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Mais ne soyons pas trop sévères à l’égard de ce patriotisme. Il s’agissait d’un patriotisme auquel beaucoup a pu être pardonné, et nos intellectuels d’aujourd’hui éprouvent toujours une certaine bienveillance pour l’enthousiasme revanchard des Français de 1914, car c’est bien grâce au sang d’un million quatre cent mille de ces Français, "morts pour la France", que les monarchies prussienne, autrichienne, russe et ottomane ont pu être renversées, et que des régimes démocratiques ont pu être instaurés un peu partout en Europe. La chute des monarchies et des Empires a constitué la vraie réjouissance des démocrates de cette époque. Si l’on veut bien prendre un peu de recul, la question de l’Alsace-Lorraine n’est qu’un aspect très mineur au milieu de ces immenses bouleversements qu’a occasionnés le conflit européen. Le militarisme de la république française de 1914 reste donc toujours cher au cœur des penseurs planétariens, parce qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un militarisme susceptible d’imposer les idées universelles à ceux qui ne les ont pas encore intégrées.


C’est d’ailleurs très exactement ce que nous dit l’historien Michel Winock, qui a conceptualisé l’idée patriotique dans un sens planétarien en faisant la distinction entre " le nationalisme ouvert, issu de la philosophie optimiste des Lumières et des souvenirs de la Révolution (celui de Michelet, mais aussi du général de Gaulle), et le nationalisme fermé, fondé sur une vision pessimiste de l’évolution historique, l’idée de la décadence." Le nationalisme ouvert, dit-il, est "enfant d’une nation jeune, expansive et missionnaire, marqué par la foi dans le progrès et la fraternité des peuples." Il est "celui d’une nation pénétrée d’une mission civilisatrice, généreuse, hospitalière, solidaire des autres nations en formation, défenseur des opprimés, hissant le drapeau de la liberté et de l’indépendance pour tous les peuples du monde. " Au contraire, le nationalisme fermé est un nationalisme " clos, apeuré, exclusif définissant la nation par l’exclusion des intrus : Juifs, immigrés, révolutionnaires. "C’est "une paranoïa collective, nourrie des obsessions de la décadence et du complot ", qui exprime " la peur de la liberté, la peur de la civilisation urbaine, la peur de l’affrontement avec l’autre, sous toutes ses formes". Ce nationalisme est invariablement pessimiste : "La France est menacée de mort, minée de l’intérieur, à la fois par ses institutions parlementaires, par les bouleversements économiques et sociaux, où l’on dénonce toujours la "main du Juif", la dégradation de l’ancienne société, la ruine de la famille, la déchristianisation ". C’est un " nationalisme mortuaire. "


Les guerres de la Révolution et de l’Empire sont ainsi hautement justifiées, puisqu’elles ont eu le mérite de propager les idées des Lumières et de détruire une première fois les vieilles nations aristocratiques en Europe. La Première Guerre mondiale, quant à elle, a permis de liquider définitivement la double monarchie catholique d’Autriche-Hongrie, de culbuter le Kaiser et d’instaurer la république en Allemagne, et surtout, de renverser le tsar Nicolas II qui refusait toujours d’accorder la citoyenneté aux Juifs de Russie. C’est en ce sens que l’on peut être patriote et belliciste. On applaudira l’enthousiasme patriotique des soldats français qui sont partis au massacre de toute bonne foi pour récupérer l’Alsace-Moselle, non pas parce qu’on approuve leur chauvinisme imbécile, mais parce qu’on attend d’eux d’aller se battre pour les grands idéaux démocratiques. On blâmera leur chauvinisme une fois la guerre terminée, sans plus d’égard pour leurs blessures et leur dévouement.


C’est cette logique qui permet à Jean-François Kahn, le directeur d’un grand hebdomadaire, de déclarer : "Je suis pour ma part aussi furieusement patriote que la raison permet de l’être ", en ajoutant à la page suivante de son livre intitulé Les Français sont formidables : " Il est effectivement "formidable" d’être français dès lors que ce concept prend tout le sens extensif du terme que l’Histoire lui donne, et non la signification très limitée que les nationalistes obtus et les réactionnaires apatrides (qui sont souvent les mêmes) lui confèrent. "


[nbp : Jean-François Kahn, Les Français sont formidables, Balland, 1987, pp. 24-25. On s’abstiendra de commenter ici ce curieux amalgame entre les "nationalistes obtus" et les "réactionnaires apatrides". Le lecteur se l’expliquera naturellement après s’être familiarisé avec la pensée planétarienne pendant la lecture de cet ouvrage.]


Dans le même registre, Jean Daniel, le patron d’un autre grand hebdomadaire progressiste, fait une déclaration de foi patriotique de la même veine, lorsqu’il note : " Déjeuner avec Azoulay [le fameux " banquier juif " et conseiller du roi du Maroc Hassan II] : Ce Juif est un patriote marocain presque davantage que je ne suis un patriote français. Presque. Autrement dit, le lien par la judaïté est très, très relatif quand il n’y a ni persécution, ni contrainte, ni conscience religieuse."


Le même patriotisme de circonstance s’épanche chez un écrivain d’inspiration communiste comme Guy Konopnicki, qui avait célébré la victoire de l’équipe de France de football lors de la coupe du monde de 1998. On aura compris que ce que Guy Konopnicki apprécie dans l’équipe de France de football, ce n’est évidemment pas la France profonde des terroirs, pour laquelle il a déjà exprimé son plus parfait mépris, mais la France métissée Black-Blanc-Beur triomphante. Il est alors envahi d’une intense fièvre patriotique, arrache le drapeau tricolore des mains de Jean-Marie Le Pen, et se met à chanter la Marseillaise à tue-tête. C’est donc sincèrement, quelques années plus tard, qu’il se désole de constater que l’hymne national est conspué par cette jeunesse immigrée qu’il a tant choyée. Le 6 octobre 2001, en effet, 70 000 spectateurs d’origine maghrébine sifflaient la Marseillaise lors d’un match France-Algérie au Stade de France en présence du président de la République. Pour Guy Konopnicki, c’était l’effondrement de son idéal d’une France multiethnique, de cette France métisse tant désirée par l’intelligentsia : "Je suis atterré, dit-il, quand on conspue cette Marseillaise que j’ai chantée, au milieu d’une foule de beurs, quand Zidane et quelques autres nous ont apporté une si belle victoire. La France, c’est précisément ce pays où, en dépit des difficultés, du racisme, nous vivons ensemble sans distinction d’aucune sorte. " Il est donc très clair que ce n’est pas tant la France qu’il aime, mais l’embryon de république universelle en miniature qu’elle représente.


Bien avant eux, le poète allemand Heinrich Heine, vomi par les nationalistes d’outre-Rhin, exprimait son amour de la France républicaine qui l’avait accueilli. En 1830, après l’abdication de Charles X – qu’il appelle "ce fou royal" – il s’enthousiasmait pour le mouvement révolutionnaire français et pour le vieux général Lafayette : "Voilà déjà soixante ans que, revenu d’Amérique, il a rapporté la déclaration des droits de l’homme, ces dix commandements de la nouvelle religion" ; "Lafayette… le drapeau tricolore… la Marseillaise… Je suis comme enivré. Des espérances audacieuses surgissent dans mon cœur." Quand on connaît les opinions de Heinrich Heine et son mépris pour les cultures traditionnelles européennes, il est clair que là encore, ce n’est pas tant la France qui le transporte d’amour et d’admiration que la république universelle qu’elle incarne. Quant à ses "espérances audacieuses", on gage qu’il devait penser à une nouvelle petite tournée militaire, histoire de mettre l’Europe à feu et à sang et de faire voltiger les têtes couronnées. C’est en ce sens, on la vu, que l’on peut se déclarer "furieusement patriote ".


Les intellectuels planétariens pétris des idées généreuses de pacifisme et de tolérance, se retrouvent à la pointe du patriotisme et du militarisme agressif dès lors qu’il s’agit d’une "juste cause" démocratique. C’est alors sans complexe que l’on embouche les trompettes guerrières et que l’on se fait le propagandiste de la force armée. Ainsi, les soldats français sont "formidables" en 1792, en 1914 et en 1940, quand il s’agit d’aller au front pour détruire des régimes politiques non démocratiques. Tout autant "formidables" sont les troupes soviétiques ou les partisans serbes luttant contre les nazis ; et il en est pareillement des patriotes irakiens groupés derrière Saddam Hussein, que les Occidentaux ont largement soutenu dans sa guerre contre le régime des mollahs du voisin iranien au cours des années 1980.


En revanche, les soldats français pendant la guerre d’Algérie ne sont plus que d’infâmes tortionnaires. C’est ce que tient à nous dire Guy Konopnicki : "En ce temps-là, les jeunes juifs de Paris s’engageaient radicalement contre le colonialisme français et son armée de tortionnaires." Les soldats serbes, refoulant les musulmans bosniaques ou Kossovars se sont eux aussi transformés en "bêtes sanguinaires" responsables d’immenses "charniers" humains. Ils seront donc bombardés par l’aviation américaine en 1999 dans une nouvelle opération "Juste cause". Quant aux soldats irakiens de Saddam Hussein, en 1991 ou en 2003, ils ne sont plus que des pions au service de la tyrannie que l’on peut vitrifier sans état d’âme. Ainsi, on exaltera le patriotisme que lorsque celui-ci correspond aux intérêts de la politique planétarienne. Quand la cause paraît bonne, on arrachera leur drapeau des mains des patriotes occidentaux en chantant à tue-tête leur hymne national afin de les entraîner dans le conflit. Les intellectuels progressistes, toujours prêts à se mobiliser pour le pacifisme et la fraternité universelle, à signer toutes les pétitions pour les droits de l’homme, sont alors saisis par une frénésie belliciste qui envahit invariablement la presse et l’ensemble des médiats.


Cette attitude est directement le fruit du messianisme guerrier issu de la philosophie des Lumières du XVIIIe siècle. Ce sont ces idées libérales, qui ont engendré les mouvements de libération nationale tout au long du XIXe siècle, contre ce qu’il était d’usage d’appeler les "tyrannies", c’est-à-dire les régimes des monarques. Les libéraux allemands, hongrois et autres Polonais chantaient la Marseillaise en 1830 ou en 1848, exaltant un patriotisme républicain de bon aloi. L’identité des peuples n’était alors plus incarnée en la personne du monarque couronné, mais dans la nation tout entière, dans le nouveau régime républicain auquel on aspirait et dans le peuple en armes au besoin, ce qui préfigurait déjà les grands massacres collectifs du XXe siècle.


Cependant, l’avènement du règne de la bourgeoisie et les affreuses injustices du capitalisme triomphant vont susciter la méfiance et l’hostilité du monde ouvrier à l’égard des idées libérales. Jamais en effet, les petites gens n’ont eu plus à souffrir qu’au cours de cette période, qui reste à jamais l’une des plus hideuses de l’histoire pour les humbles et les déshérités. Dans ces conditions, le socialisme était légitime. Mais le socialisme qui va finalement s’imposer ne sera pas celui de Proudhon, de Blanqui ou de Sorel, ce socialisme gaulois, imprégné du terroir, enraciné dans l’histoire et les traditions, mais celui de Karl Marx. Dès lors, et jusque dans l’entre-deux guerres, c’est le marxisme qui entretiendra la flamme du pacifisme et l’esprit universel hérité des Lumières : " Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! " Les libéraux, quant à eux, conserveront la flamme de l’esprit guerrier et patriotique des grands ancêtres, toujours prêts à mourir pour une "Juste cause".


[nbp : "Juste cause" était le nom donné à une opération de bombardement américain sur le Panama en 1990.]


L’idée planétarienne, on le voit, revêtait alors à la fois les habits du pacifisme militant et ceux du patriotisme guerrier. Elle était déjà, à ce moment-là, le " système ", et l’opposition au " système ".


Au début du XXe siècle, les concepts de pacifisme et de fraternité universelle étaient encore largement absorbés par la galaxie socialiste, à l’intérieur de laquelle les théories marxistes allaient s’imposer. Mais le marxisme était surtout vigoureux en Allemagne. A ce moment-là, la France ne connaissait le marxisme que sous une forme abâtardie (Jaurès était spirituellement plus près de Michelet que de Marx) ; le socialisme fabien anglais n’était pas du tout marxiste et, aux Etats-Unis, cette doctrine n’était l’affaire que d’une poignée d’immigrants juifs venus de l’Europe de l’Est. Le marxisme ne franchira vraiment le Rhin vers l’Ouest qu’après 1917.


Le courant anarchiste gardait alors une certaine vigueur, dans ses bastions italien, français, russe et surtout espagnol. Mais ce socialisme libertaire était tout à fait similaire aux principes du marxisme sur le plan de l’universalisme des idées : plus de religions, plus de frontières, plus de nations ; l’instauration d’une société mondialisée reste l’objectif terminal qui assurera enfin la paix universelle.


Il existait cependant encore au sein de la mouvance socialiste des courants travaillés par des instincts "de race" – terme très en vogue à l’époque – où l’antisémitisme n’était pas absent. En France, la haine de la République et de tout son arsenal idéologique était évidemment largement alimentée par l’exploitation éhontée des ouvriers et les féroces répressions qu’ils avaient eu à subir des gardiens de l’ordre démocratique. Les ouvriers se souvenaient des 30 000 des leurs tombés au cours de la répression de la Commune en 1871. En de multiples occasions, sous Ferry ou Clemenceau, la République n’hésita jamais à faire tirer sur le petit peuple pour assurer l’ordre bourgeois, ce qui explique certaines rancœurs. Le 1er mai 1908, sur la place de la Bourse à Paris, le prolétariat révolutionnaire pendait haut et court l’effigie de Marianne la fusilleuse. "C’est l’acte le plus significatif de notre histoire depuis le 14 juillet", dira Charles Maurras dans L’Action française du 4 août 1908. De fait, les syndicalistes, derrière Georges Sorel et les "réactionnaires" se rapprochent, analysant leur opposition commune à l’hypocrisie bourgeoise et constatant les similitudes de leurs conclusions. C’est en 1911 que naîtra le cercle Proudhon, issu de la convergence de ces deux courants. La guerre de 1914 mettra un terme à cette expérience, et la tendance sorélienne du socialisme sera marginalisée en France par la suite, mais cette rencontre du nationalisme et d’un certain socialisme avait été une matrice idéologique de toute première importance, puisque c’est à partir de cette fusion que Mussolini formulera sa conception du fascisme, après s’être inspiré de l’exemple français.


Le deuxième grand bouleversement doctrinal de cette période a lieu en 1916. Cette année-là, Lénine publie sa plus importante contribution théorique au marxisme, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Comme les contradictions capitalistes énoncées par Marx étaient en passe, au début du siècle, d’être démenties à la fois par le cours de l’histoire et les conclusions qu’en tirait Bernstein sur l’amélioration du sort des ouvriers, Lénine produisit un nouvel ensemble de contradictions, à partir des données contemporaines. L’Impérialisme va devenir, pour l’époque moderne, l’équivalent du Manifeste de 1848. Le coup d’éclat de Lénine est d’adapter la théorie marxiste à la situation des pays arriérés. Pour Marx, en effet, c’était dans les sociétés industrielles européennes que les contradictions internes et fatales du capitalisme devaient apparaître. Lénine globalise ces contradictions : la course des puissances européennes au partage du monde par la colonisation, dit-il, ne pouvait que se terminer par une guerre entre camps impérialistes rivaux, et c’est de cette apocalypse que sortirait la révolution socialiste mondiale. Ainsi, la théorie léniniste situait la force motrice de la révolution non plus dans les luttes de classe internes mais dans la guerre entre nations. L’antagonisme entre les nations exploiteuses de l’Europe et les peuples colonisés, légitimait la lutte du prolétariat mondial pour sa libération. La théorie expliquait aussi pourquoi la révolution pouvait connaître un tel retard dans les sociétés avancées : les profits impérialistes leur permettaient de mettre à la tête du mouvement ouvrier une aristocratie ouvrière qui reniait sa base. Les marxistes isolés de la Russie arriérée étaient donc tout à fait fondés à prendre le pouvoir. La Russie, le maillon le plus faible du capitalisme, devenait ainsi, logiquement, le centre de la révolution mondiale.

La révolution bolchevique d’octobre 1917 allait soulever d’immenses espérances dans le monde entier.


[nbp : Fin octobre, pour le calendrier julien de Russie ; début novembre 1917 pour le calendrier grégorien en vigueur en Occident, avec un décalage de 13 jours.]


En 1918, après quatre années de guerre, le communisme russe représentait à nouveau les espoirs des pacifistes européens, qui avaient été si cruellement déçus en 1914, où ils n’avaient pu qu’assister, impuissants, au ralliement des masses au patriotisme dans tous les pays d’Europe. Vainqueurs en Russie, les bolcheviks, qui devaient encore combattre certaines résistances, voulaient la paix à tout prix afin de consolider leur révolution. Le 23 novembre 1917, ils demandaient l’armistice. Le 3 mars, ils signaient la paix de Brest-Litovsk, laissant à l’Allemagne les immenses territoires s’étirant de l’Ukraine aux pays baltes, et abandonnant sans état d’âme les alliés occidentaux. De leur point de vue, il ne s’agissait évidemment pas d’une trahison, puisque cette guerre était pour eux une guerre entre Etats capitalistes, et dans laquelle ils n’avaient aucun intérêt. Plus encore, le 7 décembre 1917, ils lançaient un appel aux peuples de l’Orient, dans lequel ils invitaient l’Inde, l’Egypte et tous les peuples colonisés à secouer le joug de l’impérialisme, affaiblissant encore les positions des Anglais et des Français. Voilà pourquoi le marxisme représentait à ce moment-là l’idéal pacifiste planétarien et la libération des opprimés. La IIIe Internationale des Travailleurs, espérait-on, allait réussir là où la Deuxième avait si lamentablement échoué en 1914.


L’édification de la société soviétique en Russie allait pourtant mettre à rude épreuve les idéaux révolutionnaires. Les anarchistes du monde entier allaient déchanter rapidement après l’écrasement des partisans ukrainiens de Makhno et la sanglante répression de Kronstadt en 1921. Ils seront à nouveau sérieusement malmenés par les Rouges au cours de la guerre d’Espagne, alors même qu’ils représentaient une masse militante beaucoup plus importante. Cependant, la grande majorité des intellectuels progressistes d’Occident resta fascinée par la révolution bolchevique, sans considération pour les excès auxquels elle avait donné lieu, et le gros des troupes resta acquis à la défense de l’URSS au moins jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’écrasement du nazisme, et même bien au-delà pour ce qui est de la fidélité aux principes du marxisme.


Tous les pacifistes n’étaient pas des marxistes en 1918, mais ceux qui professaient ces idées étaient catalogués comme tels par leurs adversaires. Le physicien Albert Einstein, par exemple, a été après la Première Guerre mondiale l’une des têtes de file de ce mouvement, ne cessant de réclamer le désarmement mondial dans ses conférences. S’il cristallisait sur lui la haine des nationalistes allemands, ce n’était pas tant comme apôtre du désarmement, que comme propagandiste du mondialisme, car pour Einstein, la paix universelle ne pouvait être assurée que par la constitution d’un gouvernement mondial. Dans l’Allemagne de la défaite, déchirée par la guerre civile et dans laquelle les communistes jouaient le rôle principal, il s’exposait immanquablement aux accusations et aux menaces de ceux qui voyaient en lui un traître et un bolchevik. C’est dire que ces idées pacifistes étaient assimilées au marxisme à ce moment-là. Bien que moins dogmatique dans son combat pour la paix, l’écrivain viennois Stefan Zweig connu les mêmes difficultés en Autriche.


Il est vrai que la révolution bolchevique avait enfiévré bien des esprits en Occident, et provoqué des haines meurtrières de part et d’autre. " A cette sacralisation de la doctrine marxiste, élevée presque au rang d’une théologie, écrit Pascal Bruckner, les penseurs démocratiques ont riposté par un éloge de la modération chargée de freiner les emballements de l’Histoire. Ce fut la grandeur d’un Karl Popper, d’un Isaiah Berlin, d’un Raymond Aron que de se poser en démobilisateurs face à une espérance révolutionnaire qui ne réclamait la liberté totale que pour répandre la terreur absolue. "


Un autre Viennois, le philosophe Karl Popper, avait en effet été séduit dans sa jeunesse par le bolchevisme, mais il s’en était détourné rapidement, pour devenir le chantre de la démocratie libérale. Comme Einstein, Joseph Roth et Stefan Zweig, Karl Popper, juif, lui aussi, s’était exilé après la prise du pouvoir par Hitler. Il gagna Londres, où il publia en 1945 son fameux livre intitulé La Société ouverte et ses ennemis, dans lequel il exposait une critique du marxisme et des systèmes totalitaires. Ce livre, qui allait devenir une des références obligées des penseurs libéraux, a très largement inspiré un autre philosophe, beaucoup plus connu aujourd’hui pour ses activités de spéculateur international.


Le milliardaire George Soros, en effet, reconnaît en lui son maître-à-penser, et se fait l’apôtre de la " société ouverte " qu’il encourage partout dans le monde par le biais de sa fondation. Car l’héritier spirituel de Karl Popper ne se contente pas de réfléchir sur des concepts : il consacre surtout des milliards de dollars à promouvoir les idéaux démocratiques, notamment dans les ex-pays du bloc de l’Est, dans cette Europe centrale d’où il est originaire. Mais, comme il le dit lui-même, son action avait déjà commencé avant la chute du mur de Berlin : "En 1979, quand j’ai gagné plus d’argent qu’il m’en était nécessaire, j’ai créé une fondation, l’Open Society Found. Je lui avais fixé comme objectif d’aider à ouvrir les sociétés "fermées", à rendre les sociétés ouvertes plus vivables, et à encourager un mode de pensée critique. Par le biais de cette fondation, j’ai été profondément impliqué dans le processus de désintégration du système soviétique." C’est là évidemment un propos qui peut nous emmener très loin dans l’interprétation de la chute du régime communiste : est-il mort de ses propres faiblesses, ou bien l’a-t-on aidé à mourir ?


Il est bien certain que les aspirations planétariennes ont pu être frustrées par ce qu’il était advenu des pays communistes, qui étaient supposés, à l’origine, édifier une société fraternelle pour les prolétaires, et qui étaient surtout supposés réaliser enfin l’unification du monde. Ces déceptions vont éloigner peu à peu bien d’autres intellectuels occidentaux du communisme international, au moins dans sa version soviétique.


L’un des principaux points de rupture fut assurément suscité par la politique soviétique à l’égard de l’Etat d’Israël. Créé en 1948, cet Etat fut immédiatement reconnu par l’Union soviétique qui espérait s’en faire un allié de poids au Proche Orient, mais les Juifs israéliens trouvèrent un plus large appui financier aux Etats-Unis, vers qui ils se tournèrent rapidement. Moscou changea alors brusquement de politique et soutint les revendications arabes, ce qui plaça de nombreux intellectuels marxistes devant un dilemme cornélien : comment concilier son soutien à la patrie des travailleurs et son amour pour l’Israël ?


Beaucoup se détournèrent définitivement de l’Union soviétique à ce moment-là, d’autant plus que la radicalisation de la ligne antisioniste de l’URSS prit une teinte antisémite qui s’accentua en 1951. La défense des refuzniks – ces Juifs russes que le régime soviétique empêchait de rejoindre l’Israël – et le respect des droits de l’homme en URSS fut alors un des axes prioritaires du combat de ces tout nouveaux militants des droits de l’homme. De nombreux Juifs prirent alors prétexte de ces nouvelles dispositions de l’Etat soviétique pour se jeter à corps perdu dans un anticommunisme soudain et très particulier, et qui était d’autant plus virulent qu’il permettait de renier un système dans lequel certains Juifs avaient joué un rôle fort compromettant pendant une trentaine d’années.

Le témoignage de Soljénitsyne nous est ici de la plus grande importance. Celui-ci note avec justesse que ni la famine organisée, ni les sanglantes répressions, ni les millions de morts des goulags au cours de la terrible période des années vingt et trente en URSS, n’avaient affecté le soutien des intellectuels progressistes occidentaux au régime bolchevique. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les troupes soviétiques, galvanisées par le cinéaste Eisenstein et le poète Ilya Ehrenbourg, selon la logique déjà exprimée du "patriotisme modulable", étaient applaudies par l’ensemble de l’intelligentsia occidentale, en plus d’être largement approvisionnées en armes, en avions et en matériel militaire de toute sorte par l’Amérique démocratique. C’est seulement lorsque les armées nazies furent écrasées, en bonne partie grâce au sang versé par les Russes, et que l’Union soviétique soutint les Etats arabes, que ces intellectuels commencèrent à se détourner du régime. Cette tendance s’accentua très fortement lorsque les Juifs d’URSS furent évincés des principaux postes de direction à partir de 1951. Le combat pour les refuzniks devint alors la grande cause planétaire et bénéficia de toute la puissance médiatique de l’Occident. L’idéologie des droits de l’homme ne semblait ne s’être mise en branle que pour la défense des Juifs écartés du pouvoir en URSS. Mais les dizaines de millions d’autres soviétiques qui eux aussi auraient sans doute choisi l’exil, n’avaient d’autre choix que de souffrir en silence.


Néanmoins, les idées socialistes continuèrent encore longtemps à exercer un formidable pouvoir d’attraction par le biais des différents courants issus du marxisme, qui critiquaient certes l’URSS, mais qui conservaient intactes les espérances planétariennes du communisme. La révolte de mai 1968 témoigne de la prédominance de cette idéologie dans les universités d’Occident à ce moment-là. L’URSS n’était plus un exemple que pour les vieux "staliniens" du Parti communiste, mais le mythe révolutionnaire trouvait à s’alimenter largement dans le trotskisme, le maoïsme, l’anarchisme et, plus concrètement, dans toutes les luttes de libération du Tiers-Monde. Tous continuaient à croire à ce messianisme universel alimenté par les productions intellectuelles de "l’école de Francfort", représentée par Herbert Marcuse, Horckheimer, Theodore Wiesenthal Adorno, Jürgen Habermas, qui furent les porte-drapeaux des révoltés, aux côtés de Marx, de Lénine et de Mao. L’heure n’était donc pas encore advenue où il faudrait prendre la mesure des succès incontestables de la démocratie libérale dans la réalisation des objectifs planétariens, et de reléguer au placard les idéaux de sa jeunesse. Pour les étudiants de mai 1968, l’ennemi à abattre restait le capitalisme international, qui avait invariablement le visage de la civilisation européenne, coupable d’avoir enfanté le capitalisme et l’oppression, non seulement des prolétaires européens, mais encore, et surtout, des travailleurs du monde entier. On soutenait le combat du Viet Minh comme on avait soutenu les fellaghas du FLN algérien. Là encore, il ne s’agissait pas de trahison mais de combat libérateur contre l’oppression capitaliste. Bientôt, dans le mythe révolutionnaire, le prolétariat, la classe laborieuse européenne qui devait conduire la révolution socialiste, allait être remplacée par les masses du tiers-monde qui peuplaient les pays du Sud et qui bientôt peupleraient aussi de plus en plus largement les pays riches.


Il était temps en effet de trouver une classe laborieuse de substitution. Les sociétés occidentales connaissaient une mutation économique importante qui se caractérisait par une forte progression du secteur tertiaire au détriment du secteur industriel. Avec le passage à une économie post-industrielle, le nombre des ouvriers commençait à décroître. Cette évolution de la société et l’enrichissement général qui accompagna cette mutation économique et sociale n’entamèrent en aucune manière le combat des progressistes, dont les convictions planétariennes allaient s’affirmer avec beaucoup plus de vigueur.


Leurs espoirs s’étaient alors reportés sur toutes les "minorités opprimées" : les immigrés, en premier lieu, victimes de la colonisation, mais aussi toutes les catégories de gens qui pouvaient se sentir oppressés par la société bourgeoise et la domination du " mâle blanc ". Les revendications des féministes et des minorités sexuelles, conjointement avec les luttes des peuples du tiers-monde, allaient nourrir l’idée que le prolétariat européen était remplaçable, et ce d’autant plus que l’immigration allait fournir un réservoir de nouveaux révolutionnaires, ou en tout cas de nouveaux électeurs.


Les petites gens ont évidemment eu à souffrir de la concurrence de cette nouvelle main-d’œuvre, taillable et corvéable à merci, importée par un patronat qui comptait sur ce réservoir pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. Les délocalisations d’entreprises qui se multipliaient, et tous les problèmes liés à la coexistence des communautés dans les cités autrefois ouvrières, frappèrent d’abord les travailleurs " de souche " les plus défavorisés. Ce sont bien eux, en effet, les premiers qui ont eu à pâtir de cette nouvelle forme de société, inventée par des idéologues et encouragée par le patronat. De fait, l’afflux de la main-d’œuvre étrangère en provenance du Maghreb et de l’Afrique noire et l’immigration massive des années 1980-1990 avaient transformé considérablement leur environnement. Un film français des années 1950, 1960, 1970 ou même 1980 laisse voir une société de souche européenne. En l’espace d’une vingtaine d’années, la société française a connu sur ce plan une profonde mutation, et c’est incontestablement ce phénomène majeur qui accrédite en France l’idée qu’une société mondiale est en train de s’instaurer.


Les cités ouvrières des années 60 étaient devenues de véritables ghettos urbains que les "petits blancs", devenus minoritaires, ne pensaient plus qu’à fuir. Si l’on veut bien regarder l’évolution du monde occidental avec un peu de hauteur, on se rend compte, après un siècle de combats, que le seul résultat tangible du communisme local en France est d’avoir transformé ses municipalités en villes du tiers-monde, dans une étonnante conjonction de vue avec le patronat. S’estimant trahis par leur défenseurs attitrés, délaissés par leurs intellectuels au profit des immigrés et des minorités de toutes sortes, c’est bien légitimement que les " petits blancs " se sont réfugiés dans les bras des " populistes ".


Selon le Manifeste du parti communiste de Marx, "les ouvriers n’ont pas de patrie" ; à moins bien entendu qu’ils n’aient au contraire que cela. Dans la bouche des progressistes, les "prolétaires" étaient désormais appelés avec mépris des "beaufs", c’est-à-dire des Français de souche arriérés, s’accrochant à leurs méprisables traditions et incapables de comprendre les immenses progrès que représentait la société plurielle. Si au XIXe siècle, le marxisme se traduit d’abord par la défense du monde ouvrier, la fin du XXe siècle va révéler en pleine lumière toute l’importance de l’universalisme qui lui est consubstantiel, avec son projet de société mondiale, d’Etat mondial, de gouvernement mondial.


L’idéal planétarien et la volonté d’édifier la société plurielle auront finalement pris le pas sur le credo anticapitaliste. Le mouvement s’est d’ailleurs effectué tout naturellement, parce que chez tous les penseurs marxistes, le capitalisme est, consciemment ou non, assimilé à une race blanche arrogante et impérialiste. Depuis longtemps, la vulgate marxiste entretient l’idée que l’homme blanc est coupable de la plupart des maux sur cette terre. Il est le grand responsable des pires crimes, des pires atrocités qui ont été commis dans l’histoire, du massacre des Indiens d’Amérique au génocide des Juifs, en passant par toutes les horreurs de la colonisation. Toute son histoire n’est que violence et obscurantisme. Sa religion est une horreur, et toutes ses traditions ne valent certes pas les plus nobles coutumes d’une tribu africaine. Pour finir, l’homme blanc a mis sur pied cette désespérante société de consommation dans laquelle nous sommes aujourd’hui enlisés jusqu’au cou. Voilà ce qu’enseigne le marxisme. Dans ces conditions on comprendra pourquoi la jeunesse occidentale n’aspire qu’à railler la génération de ses parents et toutes les générations qui l’ont devancée.


Nulle part ailleurs dans le monde, on ne constate cette fascination pour la société multiethnique, cet amour de la société ouverte, mais aussi cette aversion pour ses propres traditions et pour son propre peuple que l’on espère voir s’éteindre au plus vite. Cette entreprise de culpabilisation en profondeur ne pouvait déboucher que sur ce résultat. Lorsque les tenants de la mondialisation revendiquent haut et fort la suppression des frontières, non seulement pour les marchandises, mais aussi pour les hommes, ils savent pertinemment que les mouvements migratoires sont à sens unique et se dirigent vers les pays du Nord. Consciemment ou non, ils souhaitent bien la disparition de leur propre espèce. C’est parce que les Français, et avec eux de très nombreux Occidentaux, sont imprégnés de la conviction que leurs vieilles traditions, héritées du passé, sont des barrières à l’amour universel entre tous les hommes de la planète. Ce qu’ils ne voient plus, c’est que la volonté de construire la société plurielle en remplacement des sociétés traditionnelles, est spécifiquement européenne et occidentale, et que nulle part ailleurs dans le monde, on n’ouvre son territoire, on ne rejette son passé, sa religion et ses vieilles coutumes au nom d’une très hypothétique paix universelle.


Dans ces conditions, on admettra que l’immigration actuelle est moins un phénomène naturel que le fruit d’une idéologie universaliste qui travaille à la disparition des nations, et qui correspond d’ailleurs autant aux aspirations marxistes que libérales. Les esprits planétariens expliqueront que cette évolution est inéluctable, que les habitants des pays pauvres tenteront de toute manière et par tous les moyens de passer dans les pays riches, et qu’il est parfaitement illusoire de tendre des barbelés aux frontières tant que le problème de la malnutrition ne sera pas résolu en Afrique ou ailleurs. La volonté politique se conjugue ici au credo humanitaire pour ligoter les mains des Occidentaux devant ce problème, et ce, au nom des droits de l’homme et de la démocratie. Mais à la vérité, ce sont bien ces considérations idéologiques, et non des impossibilités matérielles qui rendent les Européens impuissants à régler la question des flux migratoires. Avec des moyens beaucoup plus misérables, les pays du Sud se permettent régulièrement d’expulser de leurs territoires des dizaines de milliers de ressortissants étrangers en quelques jours quand cela leur semble nécessaire : en septembre 2003, Djibouti a expulsé 80 000 Somaliens et Ethiopiens (15% de la population) entrés frauduleusement dans le pays ; en 1998, l’Ethiopie avait elle-même expulsé sans ménagement 50 000 Erythréens ; en 1996, le Gabon s’était débarrassé de 80 000 clandestins et la Libye de 330 000 ; en 1983, le Nigeria faisait décamper un million et demi d’indésirables, et récidivait en 1985 sans provoquer les réactions épidermiques des médiats occidentaux.


De nombreux autres exemples pourraient être cités, mais pour démontrer que le contrôle des frontières ne dépend que de la volonté politique, on pourrait encore soulever les cas de la défunte URSS, de la Chine, ou de tout autre pays qui ne fait pas des " droits de l’homme " son unique système de référence et qui s’appuie aussi sur le droit légitime de tous les peuples sur cette terre à exister sur un territoire déterminé, selon ses règles propres, ses lois et ses coutumes. Après tout, c’est bien cette diversité qui constitue en premier lieu la richesse du monde. Comme on le voit, l’immigration actuelle en Occident n’est pas une fatalité, et son caractère " inéluctable " ne correspond à rien d’autre qu’à un discours politique, dissimulé sous le masque de la "tolérance" et de l’idéologie des droits de l’homme.


Les militants et sympathisants marxistes, défenseurs des pauvres et des humbles, ne voient plus la contradiction qu’il y a à encourager une immigration massive, en plein accord avec le patronat, alors même que celle-ci, clandestine ou légale, exerce de toute évidence une pression à la baisse sur les salaires des Français les plus défavorisés et détruit la vieille culture populaire. Le marxisme a eu pour résultat de déraciner chez les Occidentaux toute conscience identitaire, à tel point que l’on se rebelle à l’idée de défendre la culture auvergnate, jugée "réactionnaire", mais que l’on est prêt à tout pour sauver une tribu d’Indiens en Amazonie. Mieux encore : on se sentira beaucoup plus à l’aise dans un quartier immigré que dans un quartier français, parce que l’on a acquis la conviction que ces immigrés ne sont pas des intrus, mais représentent un prolétariat mondial qui est le seul capable de débarrasser le monde de la société capitaliste, assimilée plus ou moins consciemment à une race blanche oppressive et conquérante. Au nom de la diversité, on prône alors la société plurielle, sans réaliser que toutes les traditions, quelles qu’elles soient, se délitent dans la société de consommation occidentale, et qu’au final, on aboutit à une société à l’américaine que l’on prétend abhorrer et combattre.


On constatera aussi un autre étonnant paradoxe du même genre, qui induit là encore l’idée que la culpabilisation du monde européen, notamment à travers une historiographie tendancieuse, n’est pas un phénomène naturel, mais qu’elle est bien le fait de certains intellectuels qui ont entrepris la destruction de l’ancienne civilisation.


On sait que le marxisme s’oppose à l’emprise des religions, de toutes les religions, considérées comme "l’opium du peuple", ne servant qu’à faire oublier aux prolétaires leur condition d’hommes exploités par le capitalisme et à légitimer la domination de la classe possédante. Mais on ne peut que constater que la lutte des marxistes et des partisans du laïcisme s’exerce bien davantage contre le catholicisme que contre le protestantisme, par exemple, pour ne pas parler du judaïsme et de l’islam. Pourtant, le protestantisme est une religion plus proche des réalités mercantiles. Ce sont les protestants qui pensent que la réussite commerciale est le signe d’une élection divine, et non les catholiques. Ce sont les protestants puritains anglo-saxons qui ont massacré les Indiens d’Amérique, parce que, tout imprégnés de l’exemple de l’Ancien Testament et du peuple juif massacrant les autochtones jusqu’au dernier, ils se croyaient le nouveau peuple élu prenant possession de la terre de Canaan. C’est encore le protestantisme puritain qui représenta la religion dans ce qu’elle a pu avoir de plus austère et de plus "rétrograde" : ce sont les puritains anglais qui interdisaient les danses, le théâtre et les courses, et non les catholiques. Leur frugalité, leur auto-discipline, leur honnêteté et leur aversion pour les plaisirs simples, constituaient une sorte d’ascétisme séculier qui aurait dû logiquement rebuter les militants marxistes, dont l’un des slogans de mai 68 était de "jouir sans entraves". Et pourtant, c’est le catholicisme qui cristallise la haine marxiste de la religion. Il faut donc bien qu’un élément extérieur soit venu s’ajouter subrepticement à la vulgate anti-capitaliste. Il y a là une contradiction qui ne peut s’expliquer que par une haine religieuse, présente dans le marxisme, mais que nous retrouvons dans nombre de produits culturels de notre société démocratique occidentale.


On peut constater aussi que nulle critique ne s’élève jamais en Occident contre l’hindouisme, qui est une des rares grandes religions qui ne soit pas fondée sur une doctrine de l’égalité universelle. La doctrine hindoue divise au contraire les hommes de manière rigide en un système de castes, qui définit les droits, les privilèges et les modes de vie de chacune d’entre elles. Elle sanctifie la pauvreté et l’immobilisme social des castes inférieures, en leur promettant la possibilité d’une renaissance plus élevée dans les vies postérieures. En cela, cette religion devrait faire aussi l’objet des plus vives attaques des doctrinaires du marxisme, tout comme l’islam et le judaïsme, par ailleurs. Mais là encore, il n’en est rien, et seul le catholicisme fait l’objet des railleries habituelles.


Ces contradictions évidentes nous confortent dans l’idée que l’anti-catholicisme ne représente pas seulement une réaction de la part des tenants de la liberté contre "l’ordre moral" ; ce n’est pas seulement un parti pris progressiste contre l’"obscurantisme", mais la manifestation d’une haine religieuse qui remonte bien au-delà du XIXe siècle et des luttes sociales. Ces attaques incessantes contre la société traditionnelle européenne ne sont pourtant pas l’apanage du marxisme, et force est de constater que le thème de la culpabilisation est largement relayé aujourd’hui par le système démocratique, dans lequel les médiats tiennent la place du véritable pouvoir, tant et si bien qu’il est difficile d’y démêler l’influence du marxisme de celle de la pensée libérale. C’est parce que ces deux courants politiques plongent leurs racines dans le même terreau du cosmopolitisme. C’est là un élément qui contribue largement à estomper la division politique traditionnelle entre la "droite" et la "gauche".


La mondialisation n’est donc pas tant un phénomène économique que l’aboutissement d’une volonté idéologique et politique très précise dont l’objectif est de parvenir à l’unification du monde, d’une manière ou d’une autre. Dans cette perspective, l’effondrement du bloc communiste en 1991 a été une étape majeure. Débarrassé du boulet soviétique, le marxisme militant est alors apparu en Occident d’abord et avant tout comme un vecteur des idées cosmopolites, et comme le fer de lance de la société plurielle. Tandis que dans sa version soviétique, il revêtait les formes les plus réactionnaires et militaristes, il ne se pose plus aujourd’hui que comme force de progrès, bénéficiant de la complicité de la plupart des grands médiats ainsi que des subventions de l’Etat. Loin d’avoir été brisé par l’échec de l’expérience soviétique, le marxisme occidental s’en est trouvé au contraire libéré. Il s’est lancé depuis lors dans une propagande mondialiste, ou " altermondialiste ", qui fait de la société mondiale, sans frontière et sans discrimination d’aucune sorte, l’objectif ultime de son projet politique.


Les enjeux géo-stratégiques et l’antagonisme entre Moscou et Washington cachaient en fait les extraordinaires similitudes idéologiques entre la pensée marxiste et l’idéal démocratique. Il est tout à fait éclairant en effet de constater que ces deux idéologies véhiculent les mêmes aspirations : toutes deux tendent dans leurs principes à l’unification du monde, à la suppression des frontières, à l’instauration d’un gouvernement mondial et à la création d’un nouvel homme. Mais sur ce plan comme sur d’autres, le modèle soviétique a été un échec. Après la chute du mur de Berlin, il fallut établir un bilan de l’expérience. Incontestablement, la démocratie avait triomphé partout où le communisme avait largement échoué.


L’édification de la société plurielle multiethnique et l’ébauche d’un gouvernement mondial étaient l’œuvre de la démocratie libérale. De plus, le communisme avait failli dans sa tâche historique qui était d’édifier une société sans classe, dans le respect des droits de l’homme et des communautés. Au lieu de cela, l’Union soviétique s’était transformée en camp retranché, où la liberté était surveillée, la vie passablement difficile, et d’où il était de toute manière impossible de sortir, sauf pour les Juifs, qui bénéficiaient de tout le soutien des pays occidentaux. Il était clair que la réalisation des espérances planétariennes serait l’œuvre de la démocratie et non le fruit de l’expérience soviétique.


Depuis longtemps déjà en Occident, la plupart des intellectuels qui étaient pétris des idées de société égalitaire et d’espérances messianiques, avaient fait leur deuil de la patrie du socialisme comme idéal pour les travailleurs du monde entier. Depuis longtemps déjà, les principaux groupes d’obédience marxiste avaient pris la mesure de l’échec du soviétisme et effectué leur mutation. Ils avaient orienté leur combat dans un sens planétarien, mobilisant davantage leurs troupes pour des causes humanitaires que contre le mode de production capitaliste : l’égalité des citoyens, la " lutte contre les discriminations ", le combat contre le racisme, pour la reconnaissance des minorités nationales ou sexuelles, pour l’abolition des frontières, pour la défense de l’environnement, dans une vision écologique à l’échelle planétaire. Tous les espoirs messianiques du marxisme semblaient déjà depuis longtemps s’accommoder de la démocratie libérale, tout en conservant la vulgate révolutionnaire propre à mobiliser les idéalistes générés en masse par une désespérante société de consommation.


Le romancier Mario Vargas Llosa a fort bien exprimé ce sentiment au sujet de l’évolution de l’idée planétarienne : "L’un des idéaux de notre jeunesse, dit-il – la disparition des frontières, l’intégration des pays du monde au sein d’un système d’échange qui profite à tous – tend aujourd’hui à se concrétiser. Mais contrairement à ce que nous croyions, ce n’est pas la révolution socialiste qui a suscité cette internationalisation, mais ses bêtes noires : le capitalisme et le marché. C’est pourtant la plus belle avancée de l’histoire moderne parce qu’elle jette les bases d’une nouvelle civilisation à l’échelle planétaire, qui s’organise autour de la démocratie politique, de la prédominance de la société civile, de la liberté économique et des droits de l’homme."


L’intellectuel Michel Winock avait bien été obligé lui aussi de faire le même constat, mais toujours obsédé par un problème qui semble tenailler nombre d’intellectuels : "Le socialisme réel, dit-il, tel qu’il s’est édifié à l’Est de notre continent, s’est révélé une autre société close, où les Juifs, aussi bien que d’autres minorités cherchent encore leur place. Seule la "société ouverte" peut offrir les chances d’une véritable démocratie pluraliste, à même d’intégrer les Juifs sans les contraindre à aliéner leur être propre, leur mémoire collective, leur double solidarité (française et juive)."


Pour ces intellectuels, dont les pères idéologiques avaient enfanté pareille monstruosité, la disparition du très encombrant régime soviétique a été un soulagement sans fin. Mais au lieu de reconnaître leurs erreurs et de faire leur mea culpa, les intellectuels occidentaux des années 1990 ont profité de ces bouleversements pour se jeter sans tarder dans l’autre projet cosmopolite porté par la société démocratique. Le travail à l’intérieur de la démocratie s’avérait beaucoup plus efficace. On a alors assisté, dans la littérature, la presse et le cinéma à une accélération débridée de la pensée planétarienne, comme s’il fallait oublier au plus vite les erreurs tragiques de l’époque précédente et exorciser les crimes du communisme. Il n’y eut aucune repentance, aucune excuse pour les millions de morts du goulag, les déportations et les assassinats perpétrés au nom de l’idéal communiste et de la grande fraternité entre les peuples, de la part de ceux qui, précédemment, s’en étaient fait les plus ardents propagandistes.


En Occident, l’événement n’a eu finalement qu’une très faible incidence. La société a continué à évoluer comme auparavant, sans bouleversement d’importance, si ce n’est l’agitation accrue des intellectuels planétariens qui ont alors redoublé d’ardeur dans la promotion de leur idéal. Il s’agissait d’oublier au plus vite son erreur, de repenser la société égalitaire, d’ "inventer", comme ils le disent, de nouvelles utopies. Les idéologues étaient portés par un enthousiasme millénariste, comme si le messie avait été retrouvé dans les décombres du mur de Berlin, et que le monde fraternel – cette fois-ci, c’est la bonne – allait enfin advenir.


Cette nouvelle philosophie, qui chante l’unité du genre humain et la démocratie plurielle en lieu et place du communisme, a véritablement pris son envol dans les années 1990. La floraison de la production intellectuelle planétarienne, qui s’impose réellement à travers le marxisme dans ses versions culturelles de mai 1968, est alors poursuivie aujourd’hui de manière peut-être encore plus extatique avec les intellectuels démocrates, plus ou moins mâtinés de marxisme culturel, mais affranchis de toutes les pesantes considérations économiques qui alourdissaient considérablement les ouvrages marxistes-léninistes. Leur mépris pour la vieille culture européenne et l’ancienne civilisation reste en tout cas inchangé. C’est parce que les intellectuels des années 1990 sont les mêmes que ceux qui ont fomenté l’esprit de mai 1968, ou se situent dans cette filiation, et qu’ils entendent poursuivre autrement la réalisation des espérances planétariennes.


Les concepts en prêt-à-penser tels que "la Terre appartient à tout le monde" sont donc toujours très largement en vogue, et pas seulement dans les cours des collèges et des lycées. On aime à se déclarer "citoyens du monde" : c’est toujours moins ringard que d’être vulgairement breton ou berrichon, et ce type de propos vous permet de ne pas prêter le flanc à de terribles accusations. Conformément aux canons édictés par l’UNESCO, une belle église picarde du XIIe siècle sera déclarée " patrimoine mondial de l’humanité ". C’est bien ce que nous dit le philosophe Pierre Lévy quand il déclare : "Lorsque nous écoutons des Japonais jouer du Beethoven ou des Chinois chanter du Verdi, nous ne devons pas nous imaginer qu’ils ont été séduits par la musique "occidentale". Cette musique n’est pas "occidentale", elle est universelle." Nous sommes alors très loin de l’idée d’une mondialisation qui ne serait que le constat de l’évolution économique. La vérité est que ces réflexes ont bien évidemment été créés par une inlassable et permanente campagne de sensibilisation qui a envahi depuis longtemps nos écrans de télévision.


Le système soviétique était une anomalie, puisqu’il ne correspondait pas du tout aux idées généreuses qui avaient enthousiasmé des millions d’hommes et qui étaient supposées être à la base de l’édification du régime. Avec la fin de ce système, on peut dire que l’on revient à la normale, en quelque sorte. Enfin dégagée de l’encombrant fardeau sibérien, l’idée communiste peut à nouveau jouer correctement son rôle, en toute conformité avec ses principes, qui est celui d’être l’aiguillon de la démocratie, à l’intérieur même de la démocratie libérale, finalement seule capable de nous frayer la voie vers la société plurielle universelle. C’est dans l’opposition active que le communisme est véritablement efficace. C’est dans l’opposition qu’il peut rendre les meilleurs services, puisqu’il permet de maintenir les opposants au système libéral dans les perspectives planétariennes. Il est en quelque sorte la soupape de sécurité d’un système libéral désespérant, qui, du fait de son absence de transcendance et de ses aspirations purement matérialistes, engendre fatalement des oppositions radicales. Celles-ci sont alors récupérées par l’idéal communiste et conservées dans le bouillon du mondialisme. Sans lui, les opposants à la démocratie bourgeoise et à la société de consommation se porteraient inévitablement vers les mouvements de réactions identitaires et ethniques, ce que le système cosmopolite ne souhaite à aucun prix. Le scénario qui se déroule sous nos yeux est donc celui que George Orwell avait imaginé dans son fameux roman-fiction intitulé 1984, dans lequel le chef de l’opposition clandestine, le fameux et insaisissable Goldstein, n’était finalement rien d’autre qu’un agent du système ayant pour mission de canaliser les oppositions. Le communisme a donc réintégré le rôle qu’il n’aurait jamais dû cesser d’avoir, qui est celui d’être une utopie mobilisatrice, nichée à l’intérieur de la démocratie. Le soviétisme est mort ; peut-être même qu’il a été assassiné. Mais l’idéal communiste paraît être soigneusement entretenu, réchauffé au sein de la démocratie libérale, lové dans ses institutions. C’est ainsi que fonctionne la spirale planétarienne : avec un système, d’un côté, et une opposition factice à ce système, de l’autre. Les deux forces sont absolument complémentaires et indispensables l’une à l’autre.


La conjonction des idéaux planétariens des marxistes et des démocrates occidentaux n’étant plus entravée aujourd’hui par le conflit géostratégique entre Moscou et Washington, l’Occident peut enfin laisser libre cours à son instinct de domination planétaire, représenté victorieusement par le modèle démocratique, que l’on tente d’imposer à tous les peuples du globe. Comme à la glorieuse époque de la révolution française, la " guerre aux tyrans " est donc déclarée. Mais cette fois-ci, la lutte est transposée à l’échelle planétaire, et ce sont les Etats-Unis qui se sont mis immédiatement à la tête des armées libératrices dès que l’URSS, démantibulée, ne fut plus en mesure de s’opposer à ces desseins grandioses. La première guerre du Golfe contre l’Irak, en 1991, a donc été suivie par le bombardement de la Serbie en 1999, puis, après les attentats du 11 septembre 2001, par l’invasion de l’Afghanistan, et par une deuxième guerre du Golfe qui déboucha sur l’occupation de l’Irak.


On a beaucoup parlé de ces " néoconservateurs " qui entourent le président américain George W. Bush et qui ont déterminé sa politique belliciste. Ces anciens trotskistes, qui s’étaient tout naturellement mués en fervents démocrates dans les années 1980, au cours de l’ère reaganienne, se montraient dorénavant prêts à toutes les guerres pour imposer l’idéal démocratique dans le monde entier. Mais il faut dire, sous peine de ne rien comprendre à l’évolution du monde, que l’intérêt de l’Etat d’Israël était en jeu dans la guerre du Golfe, et que la plupart des néo-conservateurs de l’administration américaine étaient eux-mêmes très influencés par le sionisme, et entendaient réduire à néant une puissance irakienne qui aurait pu un jour menacer l’Etat hébreu.


De fait, les guerres américaines en Irak bénéficiaient incontestablement du soutien de la plus grande partie de la communauté juive internationale. Ici, comme durant la guerre contre la Serbie et contre l’Afghanistan, les intellectuels cosmopolites faisaient partie des plus ardents groupes de pression bellicistes, pour la simple et bonne raison que ces guerres correspondaient aux objectifs globalistes : les bombardements américains contre la Serbie ont eu pour résultat de favoriser la progression de l’islam dans les Balkans, répondant en cela à l’objectif mondialiste de favoriser l’émergence de la société multiethnique qui doit accompagner l’établissement de la démocratie. Comme l’avait dit le général Wesley Clark, commandant en chef de l’OTAN en Europe à ce moment-là : "Il ne doit plus y avoir de place en Europe pour les sociétés ethniquement homogènes."


L’invasion de l’Afghanistan par les troupes américaines, quant à elle, répondait aux attentats du 11 septembre et à la nécessité de combattre dans le monde l’antisémitisme véhiculé par l’islam. On constate donc que le système démocratique encourage l’islam à l’intérieur des Etats occidentaux dans le but d’instaurer une société plurielle, mais le combat sur la scène internationale, où il s’oppose aux intérêts d’Israël et des Etats occidentaux.


Ces guerres répondent donc parfaitement au projet d’édification de l’Empire global, qui ne pourra s’imposer que sur les décombres des sociétés traditionnelles et des libertés tribales. Dans cette perspective, le système médiatique représente évidemment la pierre angulaire des espérances planétariennes, puisque c’est par le biais de permanentes campagnes de "sensibilisation" que l’idée parvient à s’imposer progressivement dans les esprits occidentaux. Il semblerait cependant que nos concitoyens éprouvent aujourd’hui un sentiment plus ou moins diffus de défiance envers un discours politique lénifiant, ressassé à outrance, et qui fait de l’abolition des frontières le sésame du paradis terrestre.


A cet égard, le rejet de la constitution européenne par le corps électoral, lors du référendum de mai 2005 a peut-être été un signe annonciateur d’une prise de conscience d’un danger imminent, qui semblait couver sous les idées les plus nobles et les plus généreuses. Car dans l’esprit de ses partisans les mieux renseignés, la constitution européenne et la formation d’un gouvernement européen, nous le verrons, préfiguraient assurément des projets beaucoup plus vastes.


L’idée d’une paix universelle, que nous aurait assurée une Europe sans frontières, est d’habitude un argument propre à séduire les Occidentaux, mais il faut croire que cette fois-ci, nos compatriotes ont préféré leur liberté tribale à tous les mirages du mondialisme. Aux promesses de "Paix" et de "Prospérité", ils ont finalement préféré refuser poliment, comme devant un camelot ambulant un peu fourbe qui aurait trop insisté pour nous vendre son élixir miraculeux. Nous allons donc apprendre que, dans la bouche de certains experts, les mots "tolérance" et "droits de l’homme" peuvent aussi être utilisés comme de puissants anesthésiants, et que derrière un langage mielleux, des manières douces et de belles promesses, peuvent se cacher des intentions inavouables.Hervé RYSSEN



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22 octobre 2006

Les origines religieuses du mondialisme


Entretien avec Hervé RYSSEN, paru dans les revues Réfléchir et Agir N° 22 et Tabou N° 10 ( juin 2006).


Hervé Ryssen, vous venez de publier un livre qui met enfin en pleine lumière la logique mondialiste et ses soubassements religieux. Depuis trop longtemps, en effet, les intellectuels de la mouvance nationale n’osent pas aborder les " sujets qui fâchent " et s’interdisent de dénoncer la propagande cosmopolite. Pourriez-vous tout d’abord expliciter le titre de votre livre pour nos lecteurs ?


HR : Je me suis penché sur la production écrite des intellectuels juifs afin de tenter de comprendre leur vision du monde. Après avoir lu des dizaines d’essais politiques, de romans et de récits en tout genre, je me suis aperçu que le mot " espérance " apparaissait régulièrement dans les textes. Il s’agit bien entendu pour eux de l’attente d’un monde meilleur, du messie et de la " terre promise ". Rappelons que si les chrétiens ont reconnu leur messie, les juifs attendent toujours le leur. Cette attente messianique est au cœur de la religion hébraïque et de la mentalité juive en général, y compris chez les juifs athées. C’est le point fondamental. Quant au terme " planétarien ", c’est un néologisme qui ne signifie rien d’autre que l’aspiration à un monde sans frontière.


Mon travail est exclusivement centré sur les intellectuels juifs. Contrairement à ce que beaucoup de gens peuvent penser, l’utilisation du mot " juif " ne tombe pas encore sous le coup de la loi. Je sais bien que nombreux sont ceux dans le milieu nationaliste qui se mettent à avoir des sueurs à la simple évocation de ce mot, mais c’est probablement parce qu’ils craignent de tenir des propos antisémites, qui sont effectivement aujourd’hui lourdement condamnés. Personnellement, je n’éprouve nullement cette crainte, puisque mes travaux sont exclusivement basés sur la recherche à travers les sources hébraïques. Disons que j’ai une approche rationnelle du sujet, et, osons le dire, totalement dépassionnée.


On entend effectivement souvent parler chez les juifs de " terre promise " et de " messie ", mais nous avons toujours du mal à comprendre ce que ces concepts signifient. La " terre promise ", n’est-ce pas l’Etat d’Israël ?


HR : Historiquement, c’est bien la terre du pays de Canaan, que Yahvé à donné à Abraham, ainsi qu’on peut le lire dans la Genèse, le premier livre de la Torah. Mais avant même la destruction du second Temple par les légions romaines de Titus et la dispersion, de nombreux juifs vivaient déjà dans la diaspora. Il n’en demeure pas moins qu’en 1917, avec la déclaration Balfour qui créait un " foyer juif en Palestine ", certains juifs ont pu penser qu’en récupérant la " terre promise ", les temps messianiques étaient enfin proches. Mais il ne faut pas oublier que d’autres juifs, beaucoup plus nombreux, pensaient à alors la même époque que cette terre promise se situait plus au Nord, dans cette immense Union soviétique où, après la révolution d’Octobre 1917, tant de juifs apparaissaient aux plus hauts échelons du pouvoir. Cependant, il suffit de lire des textes un peu plus anciens pour s’apercevoir qu’au XIXe siècle, c’était la France ─ le pays des droits de l’homme ─ qui soulevait tous les espoirs et constituait aux yeux des juifs du monde entier la " terre promise ". La Vienne du début du XXe siècle, ou l’Allemagne de Weimar durant l’entre-deux guerres ont aussi pu être considérées comme des " terres promises ", tant la culture et la finance, notamment, étaient à ce moment-là très largement influencées par les banquiers, les intellectuels et les artistes d’origine juive.


On notera que cet espoir se termine toujours par une cruelle désillusion. Le fait est que l’Etat d’Israël ne constitue pas un havre de paix, c’est le moins que l’on puisse dire. Quant à la Russie judéo-bolchevique, elle s’est retournée contre les juifs qui ont été évincés du pouvoir après la Seconde Guerre mondiale. La " France des droits de l’homme " est aujourd’hui en voie de tiers-mondisation, et l’on entend depuis 2001 certains juifs appeler à fuir ce pays " antisémite ", où les juifs subissent de plus en plus la colère des jeunes Arabes. Bref, pour les juifs, tout semble se finir toujours très mal, où qu’ils aillent, quoi qu’ils fassent.


La " terre promise " s’est aussi pendant longtemps incarnée dans le rêve américain. Dès les années 1880, des dizaines de milliers de juifs d’Europe centrale partent pour les Etats-Unis où ils espèrent une vie meilleure, loin des Cosaques, des pogroms et de ce tsar honni. Mais la " terre promise " la plus récente fut évidemment la Russie après l’effondrement du soviétisme. En quelques années, une poignée d’" oligarques " avait réussi à mettre le grappin sur une grande partie des richesses russes privatisées. Le plus connu d’entre eux, le milliardaire Khodorkovski, dort aujourd’hui dans les prisons de la nouvelle Russie de Vladimir Poutine. Manifestement, cette nouvelle " terre promise " n’a pas non plus été la bonne ! Bref, vous l’avez compris, depuis la sortie du ghetto, les juifs ne cessent de changer de "terre promise", et leur errance se termine systématiquement par une déception. Seuls les Etats-Unis représentent toujours à leurs yeux cet Eldorado et nourrissent encore leurs espérances. Mais pour combien de temps ?


Vous nous entretenez ici d’histoire et de géographie, mais le messianisme et l’idée de terre promise ne sont-ils pas plutôt des concepts religieux ?


HR : Nous rentrons ici au cœur du sujet. Si vous allez discuter avec un rabbin dans la rue des Rosiers, il va immédiatement vous dire que les juifs aspirent par-dessus tout à l’instauration d’un monde de Paix, un monde dans lequel tous les conflits auront disparu, qu’il s’agisse des conflits sociaux, ou qu’il s’agisse des conflits entre races ou nations. C’est à ce monde de Paix universelle qu’il faut parvenir, parce que ce monde de Paix se confond pour eux avec les temps messianiques. Les auteurs sont ici assez clairs. Voici ce qu’écrit le philosophe Emmanuel Lévinas à ce sujet : "On peut grouper les promesses des prophètes en deux catégories : politique et sociale. L’aliénation qu’introduit l’arbitraire des puissances politiques dans toute entreprise humaine, disparaîtra ; mais l’injustice sociale, l’emprise des riches sur les pauvres disparaîtra en même temps que la violence politique… Quant au monde futur, poursuit-il, notre texte le définit comme "humanité unie dans un destin collectif"." (Difficile liberté, 1963, pp. 85-86.)


Le Grand Rabbin du Consistoire central, Jacob Kaplan a rappelé lui aussi dans Le vrai Visage du judaïsme (Stock, 1987) le passage célèbre qui est l’une des sources du messianisme juif : " le loup habitera avec la brebis, le tigre reposera avec le chevreau ; veau, lionceau, bélier vivront ensemble et un jeune enfant les conduira. " (Isaïe, XI, 6 à 9). "C’est évidemment une image, ajoute Kaplan, des relations qui s’établiront entre les nations, heureuses de maintenir entre elles l’union et la concorde."


Dans son livre sur le messianisme, David Banon confirme bien cette vision du monde : "L’ère messianique telle qu’elle a été décrite par l’ensemble des prophètes consiste en la suppression de la violence politique et de l’injustice sociale (1)."


Les prophéties hébraïques nous promettent donc à la fois une progression de l’humanité vers un monde unifié, et parallèlement à cela, la suppression des inégalités sociales. On reconnaît là évidemment aussi bien les sources primitives du marxisme que celles qui inspirent aujourd’hui notre idéologie planétarienne en ce début de troisième millénaire, et qui, publicité aidant, fait rêver tant de nos concitoyens. Voilà le point central de la vision juive du monde. C’est de là qu’il faut partir si l’on veut comprendre l’univers mental des juifs. Et c’est ce qui explique que les juifs ont toujours le mot "paix" plein la bouche. Leur "combat pour la paix" est incessant.


Un exemple : En mars 2000, Chirac inaugura un " Mur pour la paix " sur le Champ de Mars, conçu par Clara Halter, l’épouse de l’écrivain Marek Halter : c’est une sorte de vestibule de verre, où la petite Clara a écrit le mot " Paix " en trente-deux langues, pour narguer, on imagine, les élèves-officiers de l’école militaire installés juste en face. Ces œuvres ont une signification religieuse que bien peu de goys peuvent déceler.


On peut donc avancer que le concept de "terre promise" ne signifie rien d’autre qu’un espoir de dimension planétaire, où toutes les nations auront disparu. C’est bien ce que nous dit le philosophe Edgar Morin, lorsqu’il écrit : "Nous n’avons pas la Terre promise, mais nous avons une aspiration, un vouloir, un mythe, un rêve : réaliser la Terre patrie (2)." Et c’est aussi ce dont parle Jacques Attali, dans L’Homme nomade : "faire du monde une terre promise (3)." C’est donc ce monde unifié, pacifié, qui sera la " terre promise ". Mais les textes nous laissent parfois penser que dans l’esprit de certains intellectuels, l’idée est prise au sens littéral : ce serait bien toute la Terre qui leur serait promise ! D’où certains comportement parfois un peu envahissants…


A en juger par la politique du président américain George Bush, il n’apparaît pas que les conseillers sionistes, qui sont nombreux à ses côtés, agissent en faveur du monde de " paix " dont vous parlez. Comment expliquez vous ces contradictions ?


HR : Il est indéniable que les chefs de la communauté juive américaine ont une bonne part de responsabilité dans la guerre en Irak. Il faut être aveugle pour ne pas le voir ; il faut être de mauvaise foi pour le nier. Leur poids politique dans les gouvernements américains successifs a d’ailleurs toujours été important depuis le début du XXe siècle. Les nationalistes américains comme le fameux aviateur Charles Lindbergh dénonçait en son temps les pressions du " lobby juif " (aux Etats-Unis, c’est un lobby parmi d’autres) pour pousser un peuple trop isolationniste à la guerre contre l’Allemagne nazie. Déjà, dans les années vingt, le constructeur Henry Ford avait pris la mesure du problème et faisait largement diffuser ce type d’informations dans un journal créé à cet effet. On rappellera encore que Madeleine " Albright " et les faucons du département d’Etat américain ont pesé aussi de tout leur poids dans la guerre contre la Serbie en 1999. Vous avez donc parfaitement raison en soulignant cette contradiction entre la foi messianique et les "opérations terrestres", si je puis dire.


Mais c’est très sincèrement que l’on vous déclarera alors que ces guerres sont " œuvre de "paix" ! Écoutez un peu Elie Wiesel, un prix Nobel de la "paix", justement, qui était naturellement un ultra-belliciste en 1991, quand il s’agissait, d’aller bombarder l’Irak : "Il ne s’agit pas seulement d’aider le Koweït, disait-il alors, il s’agit de protéger le monde arabe tout entier." Tout les Occidentaux devaient donc se mobiliser contre " le tueur de Bagdad ", coupable de faire peser une menace sur l’Etat d’Israël : " A sa guerre, écrit Elie Wiesel, il est impératif de faire la guerre. A la force destructrice qu’il emploie contre l’humanité, il faut opposer une force plus grande pour que l’humanité reste en vie. Car il y va de la sécurité du monde civilisé, de son droit à la paix, et non seulement de l’avenir d’Israël… Soif de vengeance ? Non : soif de justice. Et de paix (4)."


Vous constatez ici que l’on n’hésite pas à se draper dans les grands idéaux de paix et d’amour quand il s’agit d’anéantir son ennemi. Mais il est bien entendu hors de question que l’Etat juif s’occupe lui-même de ces basses œuvres militaires. C’est là le travail des Occidentaux, qu’il s’agit donc de convaincre, par des campagnes de " sensibilisation ", d’aller déboulonner le dictateur. Une fois votre ennemi vaincu, votre inlassable combat pour la démocratie et "pour la Paix" se retrouve à nouveau en phase avec la situation politique. Après avoir écrasé ses ennemis, effectivement, on est toujours pour la "paix".


Vous parlez de " démocratie "… Quel rapport peut-il y avoir entre un système politique et la foi messianique ? La démocratie est-elle nécessaire à l’arrivée du messie ?


HR : La démocratie n’a pas toujours été le seul cheval de bataille des espérances planétariennes. Pendant longtemps, l’idéal marxiste a aussi joué ce rôle. On sait que Marx lui-même, et la grande majorité des principaux doctrinaires et des chefs marxistes étaient juifs : Lénine avait des origines juives, Léon Trotsky, Rosa Luxemburg, Georg Lukacks, Ernest Mandel, etc., de même que la quasi totalité des leaders de mai 68. Ce n’est pas un hasard, et il n’y a guère que le petit militant communiste de base qui ne s’en rende pas compte. Le marxisme aspire à l’établissement d’un monde parfait, où les religions, comme les nations, auront disparu en même temps que les conflits sociaux. Ce schéma, on le constate, entre parfaitement dans le cadre messianique. La pensée de Marx n’est finalement que la sécularisation de l’eschatologie juive traditionnelle.


George Steiner a pu présenter le marxisme dans la perspective des prophéties bibliques : "Le marxisme, dit-il, est au fond un judaïsme qui s’impatiente. Le Messie a trop tardé à venir ou, plus précisément, à ne pas venir. C’est à l’homme lui-même d’instaurer le royaume de la justice, sur cette terre, ici et maintenant… prêche Karl Marx dans ses manuscrits de 1844, où l’on reconnaît l’écho transparent de la phraséologie des Psaumes et des prophètes (5)."


Ni Marx, Ni Lénine, Ni Trotsky ne croyaient en Dieu, et pourtant, leurs origines juives apparaissent en pleine lumière à travers la grille de lecture du messianisme juif. Le marxisme politique a néanmoins été marginalisé en Europe depuis la chute du Mur de Berlin. Le fait est que, dans les projets d’unification planétaire, la démocratie a triomphé partout où le communisme a échoué. On constate cependant que les groupes d’extrême gauche continuent de bénéficier de toute l’attention médiatique dans les sociétés occidentales : c’est parce qu’ils représentent le fer de lance du projet de société égalitaire et multiraciale et canalisent dans un sens mondialiste les oppositions radicales que suscite le système libéral. Cette utopie mobilisatrice est toujours nécessaire à un système démocratique désespérant, qui ne propose à sa jeunesse que de déambuler dans les supermarchés. C’est donc niché à l’intérieur même de la démocratie que le marxisme rend finalement ses meilleurs services. Marxisme et démocratie sont deux forces absolument complémentaires et indispensables l’une à l’autre dans le projet d’édification de l’Empire global. Sans le communisme, les opposants se dirigeraient immanquablement vers les courants nationalistes, et le Système n’y survivrait pas.


Après l’échec du communisme d’Etat, la démocratie multiraciale et les " droits de l’homme " seraient donc l’arme absolue des forces " planétariennes " ?


HR : L’objectif des mondialistes est de détruire les cultures traditionnelles enracinées pour parvenir à un monde uniforme. Cette aspiration à l’unité a été exprimé par le philosophe hassidique Martin Buber, qui ne paraît pas vraiment se rendre compte qu’il nous donne ici la définition exacte du totalitarisme : " Partout, écrit-il, on trouvera [dans le judaïsme] l’aspiration vers l’unité. Vers l’unité au sein de l’individu. Vers l’unité entre les membres divisés du peuple, et entre les nations. Vers l’unité de l’homme et de toute chose vivante, vers l’unité de Dieu et du monde. " (Judaïsme, 1982, p. 35). Pour parvenir à ce monde parfait, il faut donc broyer, concasser, dissoudre toutes les résistances nationales et les identités ethniques ou religieuses. L’"unité" ne pourra se faire qu’à partir de la poudre humaine et des résidus des grandes civilisations, et dans cette entreprise de destruction des civilisations traditionnelles, l’immigration joue un rôle essentiel. La doctrine des "Droits de l’homme" est ici une arme de guerre d’une terrible efficacité.


Voici ce qu’en dit le Grand Rabbin Kaplan : "Pour l’avènement d’une ère sans menace pour le genre humain, nous devrions pouvoir compter beaucoup sur la déclaration universelle des Droits de l’homme… Le respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme est une obligation si impérieuse qu’il est du devoir de chacun de contribuer à toutes les actions tendant à la faire appliquer universellement et intégralement." L’humanité tout entière doit s’y soumettre. Autant dire que les "Droits de l’homme" sont l’outil privilégié pour voir se réaliser les promesses de Yahvé. Là encore, ce n’est pas un hasard si René Cassin, l’inspirateur de la déclaration de 1948, était aussi le secrétaire général de l’Alliance israélite universelle. En 1945, le général de Gaulle le nomma à la tête du Conseil d’Etat. Son corps repose au Panthéon, dans le temple des grands hommes de la république.


Peut-on dire qu’il y a une homogénéité de pensée des intellectuels juifs sur la question de l’immigration ?


HR : Les intellectuels juifs peuvent être libéraux, marxistes, sionistes, religieux ou athées. Mais toutes ces divergences n’invalident en rien le fondement messianique de leurs aspirations. Et sur l’immigration, justement, je puis vous confirmer qu’il y a chez eux une unanimité. Voici par exemple ce que nous dit Daniel Cohn-Bendit, ancien leader de mai 68 et maire-adjoint de Francfort : "A Francfort-sur-le-Main, la population résidente est composée d’étrangers pour plus de 25 %, mais on peut dire que Francfort ne s’effondrerait pas si le pourcentage d’étrangers atteignait un jour le tiers de la population globale." (Xénophobies, 1998, p. 14.) Il est en cela parfaitement en phase avec le socialiste Jacques Attali, qui écrit, au sujet de l’Allemagne, confrontée au vieillissement de sa population : "Il faudrait en effet que la part de la population étrangère naturalisée atteigne un tiers de la population globale, et la moitié de celle des villes." (Dictionnaire du XXIe siècle, 1998). Il y aurait aussi une autre solution, qui serait d’encourager la natalité allemande, mais Jacques Attali ne l’envisage pas, car seule une société multiraciale est garante de la réalisation des projets planétariens. Pour la France, Attali présente la même solution : "Il lui faudra tout à la fois se donner les moyens d’un net rajeunissement, accepter l’entrée d’un grand nombre d’étrangers." (L’Homme nomade, 2003, p. 436).


Un rapport récent de la Banque mondiale (novembre 2005) encourage aussi la Russie à ouvrir ses frontières et à entreprendre une grande politique d’immigration, qui serait "l’une des principales conditions d’une croissance économique stable" et permettrait de faire face au vieillissement de la population. Notons tout de même que Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, n’a jamais encouragé l’immigration arabe en Israël pour soutenir la démographie vacillante de ce pays.


Les propos allant dans ce sens se retrouvent systématiquement chez la quasi totalité des intellectuels juifs, qu’ils soit marxistes, comme Jacques Derrida, socialiste, comme Guy Konopnicki, ou libéraux, comme Guy Sorman ou Alain Minc. Les uns et les autres présentent de surcroît une fâcheuse tendance à nous prendre pour des demeurés, en nous faisant accroire, par exemple, que l’immigration n’a pas augmenté depuis vingt ans ou encore que l’insécurité ne serait en aucun cas liée à ce phénomène. Cohn-Bendit nous assure carrément que "pour enrayer le racisme, le mieux serait encore d’augmenter le nombre d’étrangers" ! Leurs propos à ce sujet sont hallucinants de culot. Voyez encore Guy Sorman qui nous explique tranquillement que la France d’antan, avec ses dialectes et ses patois, était somme toute "plus multiculturelle qu’elle l’est aujourd’hui ?" (En attendant les barbares, pp. 174-179). C’est un exemple parmi d’autres de ce culot à toute épreuve, dont ils sont très fiers, et qu’ils appellent "houtzpah" (Prononcer Rroutzpah).


L’objectif est de détruire le monde blanc, et, de manière plus générale, toutes les sociétés enracinées. Tous ces intellectuels nous assurent que cette évolution est inéluctable, et que par conséquent, rien ne sert de s’y opposer. On rappellera ici que dans le schéma marxiste, c’était déjà la société sans classe qui devait être "inéluctable". Ecoutons le directeur de presse Jean "Daniel" : "Rien n’arrêtera les mouvements des populations misérables vers un Occident vieux et riche… C’est pourquoi la sagesse, la raison, consiste désormais à faire comme si nous allions recevoir de plus en plus d’émigrés dont il faut préparer l’accueil." (Le Nouvel Observateur du 13 octobre 2005). Vous l’avez compris, il s’agit de nous interdire l’idée même de nous défendre. L’homogénéité du discours cosmopolite est à ce sujet vraiment étonnante.


On entend souvent dire que les juifs étaient considérés par les nazis comme une " race inférieure ". Vos recherches, je crois, tendent à démontrer qu’ils auraient plutôt tendance à se considérer eux-mêmes comme " la race supérieure ". Qu’en est-il ?


HR : Je puis vous assurer qu’il existe un orgueil immense d’appartenir au "peuple élu". Et cet orgueil se combine chez les intellectuels, avec un mépris non moins grand pour les nations sédentaires, considérés, comme très nettement inférieures. Les propos à ce sujet sont innombrables. Voici ce qu’écrivait par exemple Bernard-Henri Lévy, dans le premier numéro du journal Globe en 1985 : "Bien sûr, nous sommes résolument cosmopolites. Bien sûr, tout ce qui est terroir, bourrées, binious, bref franchouillard ou cocardier, nous est étranger, voire odieux". Les "patries en tout genre et leurs cortèges de vieilleries" le dégoûte au dernier degré : tout cela n’est qu’un "repli frileux et crispé sur les identités les plus pauvres". "Parler patois, danser au rythme des bourrées, marcher au son des binious… tant d’épaisse sottise" l’ écœure". (L’Idéologie française, 1981, pp. 212-216).


Le philosophe Emmanuel Lévinas a exprimé lui aussi sa foi dans les vertus du déracinement et du nomadisme. Pour lui, la plus grande arriération, assurément, est celle que représentent les civilisations païennes de l’antiquité : "Le paganisme, écrit-il, c’est l’esprit local : le nationalisme dans ce qu’il a de cruel et d’impitoyable. Une humanité forêt, une humanité pré-humaine." Assurément, tout cela ne vaut pas le génie des bédouins du désert : "C’est sur le sol aride du désert où rien ne se fixe, que le vrai esprit descendit dans un texte pour s’accomplir universellement… La foi en la libération de l’homme ne fait qu’un avec l’ébranlement des civilisations sédentaires, avec l’effritement des lourdes épaisseurs du passé… Il faut être sous-développé pour les revendiquer comme raison d’être et lutter en leur nom pour une place dans le monde moderne." (6)


Il ne suffit donc pas à ces intellectuels de nous raconter n’importe quoi, de nous endormir avec les droits de l’homme, de nous ligoter les mains dans le dos avec les lois répressives, et de nous injecter dans les veines un corps étranger. Il faut aussi qu’ils nous glissent à l’oreille leur mépris pour nos vieilles cultures. Mais le mépris ne semble pas apaiser complètement leur esprit de vengeance. Il faut encore qu’ils nous insultent et nous crachent au visage : "ignorants, xénophobes, paranoïaques, stupides, délirants, etc." : voilà ce que nous sommes. Dans La Vengeance des Nations (1990), Alain Minc, qui nous explique les bienfaits de l’immigration, nous assure que c’est "l’ignorance qui alimente la xénophobie" (p. 154), qu’il faut donc "lutter contre le délire xénophobe" et en finir avec cette "paranoïa française" (pp. 208). Et pour ce faire, Alain Minc propose de favoriser systématiquement les immigrés par rapport aux Français sur le modèle américain. Comme le proclame le très médiatique Michael Moore, aux Etats-Unis, dans son livre sorti en 2002, ce n’est plus vraiment la peine de prendre de gants avec ces Stupid White Men (c’est le titre du livre), puisqu’ils ne comprennent rien à rien à ce qui leur arrive.


Et je ne vous récapitulerai pas ici de tous ces films innombrables dans lesquels les cinéastes cosmopolites semblent assouvir leur vengeance contre la civilisation chrétienne et l’homme blanc en général. Il me paraît évident, au regard de toute cette logorrhée, que ces gens-là nous haïssent. S’ils étaient fluorescents, clignotants ou s’ils portaient un gyrophare sur le tête, on y verrait un peu plus clair !


Comment expliquez-vous ce sentiment manifeste de vengeance, alors que les textes religieux tendent vers la paix universelle ? D’où vient cette vengeance dont vous parlez ?


HR : L’esprit de vengeance se retrouve dans de très nombreux textes. Il transparaît sous la plume de romanciers comme Albert Cohen, dans Frères humains, ou chez Patrick Modiano (La Place de l’Etoile). Le grand Gourou américain du courant afro-centriste, Martin Bernal, qui est un " blanc ", lui aussi, a lui aussi évoqué ce sentiment : "Mon but est de réduire l’arrogance intellectuelle des Européens." Maintenant, si l’on se plonge dans un passé plus lointain, on peut se rendre compte que ces permanences ont traversé les siècles sans prendre une seule ride.


Au début du XVIe siècle, par exemple, Rabbi Chlomo Molkho, qui était considéré par de nombreux juifs comme une figure messianique, écrivit ses visions prophétiques très révélatrices dans lesquelles on retrouve l’idée d’une "vengeance contre les peuples" qui va s’accomplir. Il nous assure aussi que " les étrangers seront brisés " et que " les nations trembleront. " (Moshe Idel, Messianisme et mystique, 1994, pp. 65-66). Et Moshe Idel fait ce commentaire : "le poème de Molkho évoque clairement l’avènement d’une double vengeance : contre Edom et contre Ismaël", c’est-à-dire contre la chrétienté et l’islam, puis ajoute un peu plus loin : "Dieu révèle non seulement comment lutter contre le christianisme… mais encore comment briser la force du christianisme pour qu’advienne la Rédemption." (page 48). C’est clair, non ?


On peut trouver ce type de délire prophétique chez bien d’autres personnages historiques juifs, tel cet Isaac Abravanel (Editions du Cerf, Paris, 1992), qui était le chef de la communauté juive d’Espagne avant l’expulsion de 1492, et qui devint un des héros mythique des Juifs d’origine ibérique. Il a lui aussi exprimé très explicitement la vengeance du peuple d’Israël contre la chrétienté et appelait déjà " toutes les nations à monter vers la guerre contre le pays d’Edom" (vision d’Obadia, dans la Genèse 20, 13) (page 256).


Pour ceux qui s’interrogent encore sur les raisons de cette haine séculaire, voici une petite explication : "Il est proche le jour où l’éternel tirera vengeance de toutes les nations qui ont détruit le Premier Temple et qui ont asservi Israël dans l’exil. Et à toi aussi, Edom, comme tu as fait lors de la destruction du Second Temple, tu connaîtras le glaive et la vengeance. (Obadia)… Toute délivrance promise par Israël et associé à la chute d’Edom." [Lamentations 4, 22] (page 276).


Cette haine vengeresse de vingt siècles a été aussi exprimée par le philosophe Jacob Talmon, qui écrit aussi en 1965 : "Les Juifs ont des comptes sanglants et très anciens à régler avec l’Occident chrétien (7)." Pierre Paraf, l’ancien président de la LICA (Ligue contre l’antisémitisme), rappelle, par la voix d’un personnage de son roman réédité en l’an 2000 : "Tant de nos frères, marqués de la rouelle, gémissent sous le fouet du chrétien. Gloire à Dieu ! Jérusalem les réunira un jour ; ils auront leur revanche (8) !" 2000 ans de haine ! Il faut croire que ces gens-là ont la rancune tenace !


On est effectivement assez loin des clichés du " pauvre petit juif persécuté " véhiculé au cinéma. Peut-on accréditer finalement l’idée communément admise, ou le " préjugé ", que " les Juifs veulent dominer le monde " ?


HR : Vous savez, je n’ai pas d’idées personnelles à ce sujet, et je me contente d’analyser ce qui est écrit. Par conséquent, je ne puis affirmer qu’il s’agit d’une disposition générale de l’ensemble des intellectuels juifs. Mais cette idée a été exprimée par certains d’entre eux. Le livre sur Abravanel confirme cette interprétation, sur la base des textes bibliques : "A l’époque messianique, écrit-il, Schmouel a pensé que toutes les nations seraient soumises à Israël, conformément à ce qui est écrit : "Son empire s’étendra d’une mère à l’autre et du fleuve aux extrémités de la terre" [Zacharie 9, 10] " (page 181). "Lors de la délivrance à venir, un roi de la maison de David régnera." (page 228). Ce sera "la grande paix qui régnera sur la terre à l’époque du Roi-Messie." (page 198). Nous avons bien ici la confirmation qu’Israël milite pour la " paix " !


Dans Flammes juives (9), un roman paru en 1936, et réédité en 1999 par Les Belles Lettres, Camille Marbo raconte encore l’histoire de jeunes Juifs marocains qui quittent leur mellah dans les années 20 pour s’installer en France. On y parle explicitement de "conquête du monde par Israël." (page 10). On trouve plus loin ces passages : "Israël doit gouverner le monde, dit Daniel… ─ On a peur de nous, répétait le vieux Benatar, parce que nous sommes de la race des Prophètes" (page 18) ; "Ce n’est pas encore notre génération qui peut conquérir la chrétienté. Vous pourrez, vous, jeter les fondements et vos enfants seront à pied d’œuvre. Ils se mêleront aux chrétiens. Israël mènera le monde ainsi qu’il le doit." (page 126). Il existe encore bien d’autres textes sur le sujet.


La volonté d’instaurer un gouvernement mondial n’est donc pas un délire d’ " illuminés ", comme le dirait Taguieff ?


HR : Il est bien certain que tout est mis en œuvre pour nous faire renier nos racines, nos traditions, notre histoire, nos familles et nos patries, afin de mieux nous faire accepter la société "ouverte" chère aux esprits cosmopolites et l’idée d’un gouvernement mondial. Alain Finkielkraut a insisté sur ce point : "Le Mal, écrit-il, vient au monde par les patries et par les patronymes (10)." L’homme post-moderne doit cesser de "pourchasser les traces du passé en lui-même comme dans les autres." Son titre de gloire, "c’est d’être cosmopolite, et de partir en guerre contre l’esprit de clocher (11)." A partir de là, on peut enfin admettre l’idée d’une " confédération planétaire ", comme le souhaite le sociologue Edgar "Morin" dans tous ses livres, ou mieux encore, œuvrer pour l’instauration du gouvernement mondial, ainsi que l’exprime Jacques Attali : "Après la mise en place d’institutions continentales européennes, apparaîtra peut-être l’urgente nécessité d’un gouvernement mondial." (Dictionnaire du XXIe siècle). Tout cela, bien évidemment, n’empêchera pas le célèbre trappeur antifasciste Pierre-André Taguieff de s’indigner des élucubrations antisémites et de prétendre que l’idée domination mondiale est une aberration ou une "supercherie".


On ne peut nier cependant que les juifs ont connu d’atroces persécutions au fil des siècles. Comment eux-mêmes expliquent-ils leurs malheurs ?


HR : C’est probablement le chapitre le plus étonnant de la question. Sur ce point, là encore, les explications sont tous concordantes et reposent la plupart du temps sur la théorie du " bouc-émissaire ", qui voudrait qu’en période difficile, le gouvernement ou le peuple se retournent contre une victime toute désignée que l’on charge de "toutes" les fautes "passées, présentes ou à venir".


Mais les principaux intéressés manifestent souvent aussi une incompréhension totale du phénomène. Ainsi, pour Clara Malraux (l’épouse de l’écrivain) la haine antisémite "est moins dure à supporter quand on la sait totalement et absolument injustifiée et que, de ce fait, l’ennemi se transforme en ennemi de l’humanité (12)." L’ennemi des juifs est l’ennemi de l’humanité toute entière. C’est aussi ce qu’exprime Elie Wiesel, qui écrit dans le tome 2 de ses Mémoires : "C’est ainsi et l’on n’y peut rien : l’ennemi des Juifs est l’ennemi de l’humanité… En tuant les Juifs, les tueurs entreprenaient d’assassiner l’humanité tout entière (13)." En effet, tuer un juif, pour ainsi dire, par nature innocent, c’est forcément s’en prendre à toute personne innocente ou à tout autre communauté. C’est donc bien se définir comme l’ennemi de l’humanité. Il y a aussi une autre interprétation, plus classique, qui se base sur l’idée que les juifs seuls se définissent comme l’humanité, les autres nations n’étant, selon une soi-disant formule du Talmud, que "la semence du bétail."


Dans son livre intitulé Le Discours de la haine, paru en 2004, le philosophe André Glucksmann assure que "la haine des Juifs est l’énigme entre les énigmes… Le juif n’est aucunement la source de l’antisémitisme ; il faut penser cette passion en elle-même et par elle-même, comme si ce juif qu’elle poursuit, sans le connaître, n’existait pas… Deux millénaires que le juif embarrasse. Deux millénaires qu’il est une question vivante pour son entourage. Deux millénaires qu’il n’y est pour rien (14)." Vous l’avez compris, "le juif" est toujours innocent. Là encore, ce ne sont pas de témoignages isolés, et cette attitude semble être celle d’une majorité des intellectuels juifs. Emmanuel Lévinas a aussi exprimé cette opinion, tout comme un autre philosophe juif, Shmuel Trigano pour qui le phénomène antisémite est "resté inexpliqué malgré une bibliothèque immense sur le sujet (15)."


On entend aussi souvent dire que l’antisémitisme est une maladie mentale…


HR : Puisque le phénomène est inexpliqué, et que les juifs sont innocents, le problème ne peut logiquement venir que des goys. Ecoutons ce témoignage de Yeshayahu Leibowitz, philosophe des religions, trouvé dans le livre intitulé Portraits juifs : "C’est un phénomène qui est historiquement incompréhensible. L’antisémitisme n’est pas pour moi le problème des Juifs mais des goyim (16) !" Dans le premier tome de ses Mémoires, Elie Wiesel écrit lui aussi : "Je n’étais pas loin de me dire : c’est leur problème, pas le nôtre (17)."


L’explication par le dérangement mental des antisémites se retrouve très fréquemment sous la plume des intellectuels juifs. Le livre de Raphaël Draï, Identité juive, identité humaine, publié en 1995, reprend cette idée : "L’antisémite prête au Juif les intentions qu’il nourrit lui-même à son endroit… La dimension psychopathologique d’une telle construction doit retenir l’attention… Les Juifs mis en scène sont des Juifs projectifs ; l’image "judaïsée" est propre au délire des antisémites (18)."


L’écrivain russe Vassili Grossman, a exprimé la même idée : "L’antisémitisme, dit-il, est le miroir des défauts d’un homme pris individuellement, des sociétés civiles, des systèmes étatiques. Dis-moi ce dont tu accuses les Juifs et je te dirai ce dont tu es toi-même coupable. Le national-socialisme, quand il prêtait à un peuple juif qu’il avait lui-même inventé des traits comme le racisme, la volonté de dominer le monde ou l’indifférence cosmopolite pour sa patrie allemande, a en fait doté les Juifs de ses propres caractéristiques (19)." En somme, vous l’avez compris, l’antisémite rejette sur les Juifs ses propres tares. A ce niveau-là, cela relève effectivement du domaine de la psychothérapie. Reste à savoir si c’est vraiment le goy qui en a le plus besoin !


(1) David Banon, Le Messianisme, Presses universitaires de France, 1998, pp. 15-16.

(2) Edgar Morin, Un nouveau commencement, Seuil, 1991, p. 9.

(3) Jacques Attali, L’Homme nomade, Fayard, 2003, Livre de poche, p. 34.

(4) Elie Wiesel, Mémoires 2, Editions du Seuil, 1996, pp. 144, 146, 152.

(5) George Steiner, De la Bible à Kafka, 1996, Bayard, 2002, pour l’édition française.

(6) Emmanuel Lévinas, Difficile liberté, Albin Michel, 1963, éditions de 1995, p. 299.

(7) J.-L. Talmon, Destin d’Israël, 1965, Calmann-Lévy, 1967, p. 18.

(8) Pierre Paraf, Quand Israël aima, 1929, Les belles lettres, 2000, p. 19.

(9) Camille Marbo, Flammes juives, 1936, Les Belles Lettres, 1999.

(10) Alain Finkielkraut, L’Humanité perdue, p.154.

(11) Alain Finkielkraut, Le Mécontemporain, Gallimard, 1991, pp. 174-177.

(12) Clara Malraux, Rahel, Ma grande sœur…, Editions Ramsay, Paris, 1980, p. 15.

(13) Elie Wiesel, Mémoires 2, Editions du Seuil, 1996, p. 72, 319.

(14) André Glucksmann, Le Discours de la haine, Plon 2004, pp. 73, 86, 88.

(15) Shmuel Trigano, L’Idéal démocratique… à l’épreuve de la shoah, Editions Odile Jacob, 1999, p. 17.

(16) Herlinde Loelbl, Portraits juifs, L’Arche éditeur, Francfort, 1989, 2003 pour la version française.

(17) Elie Wiesel, Mémoires, tome I, Le Seuil, 1994, pp. 30, 31

(18) Raphaël Draï, Identité juive, identité humaine, Armand Colin 1995, pp. 390-392.

(19) Vassili Grossman, Vie et destin, 1960, Ed. Julliard, Pocket, 1983 pour la traduction française, pp. 456-8.



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Aux sources bibliques du mondialisme


Article paru dans le Rivarol du 14 octobre 2005.


En préconisant l’entrée la plus rapide possible de la Turquie dans l’Union européenne et en célébrant les bienfaits (à venir) d’une "gouvernance mondiale", Bernard Kouchner, invité le 3 octobre de France Inter, symbolisait parfaitement Les Espérances planétariennes. Celles qu’a dégagées dans un livre éponyme le chercheur Hervé Ryssen au terme d’une analyse serrée des ouvrages de nombreux intellectuels contemporains, marxistes ou démocrates (Alain Minc, Jacques Attali, Edgar Morin, Marek Halter, Jacques Derrida, Pierre Bourdieu, Guy Konopnicki ou encore Albert Jacquard), dont les objectifs affichés sont le métissage généralisé, la suppression des frontières et l’unification du monde, dans un discours de plus en plus débridé.


"Le marxisme, un judaïsme impatient"

Pour l’auteur, l’obsession mondialiste hantant les esprits cosmopolites trouve une partie de son explication dans la tradition mosaïque. L’attente du Messie constitue en effet le point central des espérances des Juifs, mais il faut savoir que pour eux, l’ouverture des temps messianiques se confond avec l’unification du monde et la suppression des conflits sur la terre, qu’il s’agisse des guerres entre nations ou des conflits sociaux. Ici encore, les textes que nous soumet Hervé Ryssen sont très explicites (Emmanuel Lévinas, Jacob Kaplan, David Banon, etc.). Voilà pourquoi le mot " Paix " revient si régulièrement : il s’agit de promouvoir un monde où les vieilles nations auront disparu au profit d’un gouvernement mondial, seul garant de la Paix universelle, ainsi que le déclare Jacques Attali, dans son Dictionnaire du XXIe siècle : "Après la mise en place d’institutions continentales européennes, apparaîtra peut-être l’urgente nécessité d’un gouvernement mondial".


Le marxisme, bien évidemment, s’inscrit dans ce cadre religieux, puisqu’il prévoit lui aussi l’avènement d’un monde pacifié avec la disparition des classes sociales. Comme le dit justement George Steiner, "le marxisme est un judaïsme qui s’impatiente. Le Messie a trop tardé à venir… C’est à l’homme lui-même d’instaurer le royaume de la justice." De fait, les Juifs se sont engagés massivement dans le communisme international au XXe siècle, et ont joué un non négligeable dans l’idéologie marxiste, aussi bien que dans les atrocités qui ont été commises en son nom – il faut le dire.


Voilà ce que sont les "Espérances planétariennes" : c’est cette attente messianique, cette tension permanente qui conduit à agir et à militer continuellement pour hâter l’avènement du Messie. "Nous sommes les découvreurs de Dieu, le peuple-prêtre de l’humanité", fait dire Attali à l’un de ses personnages. Mais "peuple-militant" conviendrait mieux pour définir cet état d’esprit, tant il est vrai que les intellectuels, les artistes ou les cinéastes juifs ne semblent agir que dans ces perspectives planétariennes. Il est très rare que chez eux, une œuvre soit neutre. C’est précisément cette attente messianique qui donne un sens à toute cette production, dans la mesure où elle se confond avec l’unification du monde. Là est assurément l’axe porteur du judaïsme.


Ce qui ressort de tout cela, c’est que l’avènement du monde nouveau et des temps messianiques passe par la destruction du catholicisme et du monde européen traditionnel. Il faut avoir lu les travaux de Wilhelm Reich, de Marcuse et les ouvrages des "freudo-marxistes" pour comprendre jusqu’où peut aller cette rage de destruction. Le thème de la "vengeance" se retrouve d’ailleurs aussi bien dans les textes religieux du XVIe siècle que chez certains romanciers contemporains comme Albert Cohen. Ces permanences sont étonnantes. Elles traversent les siècles, se transmettent sans prendre une ride de génération en génération.


L’ARME DE l’IMMIGRATION

L’immigration est évidemment aujourd’hui l’une des armes des plus efficaces dans cette entreprise de destruction des sociétés traditionnelles. Quand Dany-le-Rouge, maire-adjoint de Francfort, pense qu’il serait bon que "le pourcentage d’étrangers atteigne un jour le tiers de la population globale", il tient exactement le même propos que l’ancien directeur de la Banque européenne de développement, Jacques Attali, pour qui "il faudrait en effet que la part de la population étrangère naturalisée atteigne un tiers de la population globale, et la moitié de celle des villes" allemandes. "La barque est loin d’être pleine, assure encore Daniel Cohn-Bendit, elle est même trop vide."


C’est cette "houtzpa", ce culot monumental, qui permet par exemple au philosophe Jacques Derrida d’affirmer : Il y a "beaucoup plus de place qu’on ne le dit pour accueillir plus d’étrangers", et d’ajouter : "l’immigration n’a pas augmenté, contrairement à ce que l’on affirme." Ce sont effectivement les racistes qui s’imaginent que l’immigration augmente, alors même que tous les chiffres prouvent qu’elle régresse !


C’est aussi cette " houtzpa " qui fait dire à Cohn-Bendit : "On pourrait en déduire que pour enrayer la xénophobie, le mieux serait encore d’augmenter et non de vouloir réduire le nombre d’étrangers."


Il est en cela d’accord avec le très libéral Guy Sorman, qui déclare : "Ce ne serait donc pas la présence des étrangers qui susciterait le racisme, mais leur absence : le fantasme de l’immigré serait le fourrier de la violence, beaucoup plus que l’immigré lui-même."


Et c’est encore Guy Sorman qui nous assure que "la France, qui comptait des centaines de dialectes, patois et langues régionales, il y a un siècle, était alors plus multiculturelle qu’aujourd’hui", assertion à rapprocher de celle de Nicolas Sarkozy le 19 septembre à l’Institut : "Aujourd’hui, la France profonde est celle des banlieues à majorité musulmane". (voir Rivarol du 7 octobre 2005).

Le très brillant Alain Minc en arrive aux mêmes conclusions : "Le droit du sol, dit-il, risque de rendre, dans une vision à très long terme, la France plus homogène que le droit du sang l’Allemagne."


C’est cela, la "houtzpa" : c’est cette aptitude singulière à prendre les "autres" pour des demeurés, légèrement sous-développés. Tout cela est bien naturel, si l’on considère, avec Jacob Kaplan, que "la communauté juive est, de part la volonté de D.eu, la graine qui fait germer l’humanité future… Les idées du judaïsme, poursuit-il, fortes de la puissance de la vérité et indestructibles par la violence, se répandent dans le monde pour devenir l’aliment spirituel des peuples civilisés."


Mais ne nous y trompons pas : il n’y a pas de racisme dans ce propos, pour la simple et bonne raison qu’un Juif ne peut pas être raciste.

"L’éthique du judaïsme, par définition, nie le racisme, nous explique Elie Wiesel. Un Juif ne peut pas être raciste ; un Juif se doit de combattre tout système qui voit l’autre comme un être inférieur." Nous voilà donc rassurés !

Jean-Marc GUEGAN



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Les Espérances planétariennes


Interview parue dans le Libre Journal du 24 septembre 2005.


LLJ : Hervé Ryssen, Vous venez de publier un gros livre avec un titre un peu mystérieux. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il retourne ?


HR : C’est très simple. J’ai analysé de très près la littérature et la philosophie " cosmopolites ", c’est-à-dire, qui aspire à la suppression des frontières et à l’unification du monde. Je me suis rendu compte que le terme "espérance" revenait assez régulièrement dans les textes, et correspondait parfaitement à ce que je voulais démontrer. Quant au terme "planétarien", c’est un néologisme qui signifie très exactement ce qu’il veut dire. Je l’ai préféré à "mondialiste", qui est aujourd’hui trop empreint d’idéologie.


LLJ : Que vouliez-vous démontrer ?


HR : Je voulais démontrer que la société multiculturelle n’est pas tant un phénomène naturel que le résultat d’un discours idéologique inlassablement ressassé depuis des décennies. Ce discours planétarien a encore gagné en vigueur depuis la chute du Mur de Berlin, et aujourd’hui, toutes nos têtes pensantes, communistes ou démocrates, s’accordent à penser que le gouvernement mondial est un idéal à atteindre. Ainsi, les années 90 ont vu une exceptionnelle floraison de produits culturels affichant un cosmopolitisme débridé. Les ouvrages de Jacques Attali, Alain Minc, Alain Finkielkraut, Marek Halter, Guy Sorman, Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Edgar Morin, Albert Jacquard, BHL, Guy Konopnicki, pour n’en citer que quelques-uns, sont particulièrement éloquents à cet égard. On y appelle très clairement au métissage généralisé et à la dissolution des nations. Un exemple assez amusant : Prenez le livre de Jacques Attali intitulé : Le Dictionnaire du XXIe siècle, et sélectionnez les passages nous engageant dans cette voie planétarienne ; mettez tout ça dans l’ordre, et vous obtiendrez un résultat assez comparable à un texte sulfureux imprimé en Russie au début du XXe siècle. C’est très étonnant, mais le résultat est encore beaucoup plus fort lorsque l’on se rend compte que le discours est similaire chez les dizaines d’auteurs que j’ai pu décortiquer, qu’ils soient de nationalité française, russe ou américaine, ou encore chez les auteurs allemands ou viennois du début du siècle (Einstein, Hannah Arendt, Freud, Stefan Zweig, Joseph Roth, etc.). Les concepts, la mentalité, les pirouettes intellectuelles, les contorsions idéologiques sont exactement les mêmes d’un auteur à l’autre.


LLJ : Quels sont les grands thèmes abordés dans votre livre ?


HR : J’ai commencé par présenter la face scientifique de la grande idée planétarienne : depuis la découverte d’un squelette d’australopithèque datant de trois millions d’années dans la région des grands lacs africains, il est admis que tous les hommes du monde descendent d’un ancêtre commun, et que Lucy – c’est ainsi qu’on l’a nommée – est la grand-mère de l’humanité. Dès lors, il est de bon ton, dans la cour des lycées de se déclarer " africain ", en attendant d’être "chinois" ou "turco-mongol", le jour où l’on fera d’autres découvertes. Il faut dire que cela permet aussi de ne pas prêter le flanc à de terribles accusations.


Autre révolution de première importance : depuis février 2001, le décodage du génome humain nous prouve que les races n’existent pas et que tous les hommes sont des frères. C’est en tout cas ce que tient à nous dire le professeur Axel Kahn. Ces thèmes corroborent évidemment l’idée d’unification du monde.


Après avoir décrit l’idéal planétarien (le village global, le nomadisme, l’apologie du métissage, la destruction de la famille "patriarcale", etc.), il fallait aborder la méthode planétarienne : On voit ici en pleine lumière l’immense mépris dans lequel les auteurs cosmopolites tiennent les cultures traditionnelles des sédentaires. Dans ce domaine, Bernard-Henri Lévy se distingue particulièrement, mais il est suivi de très près par Daniel Cohn-Bendit et Alain Minc. Le thème de la culpabilisation fait bien évidemment l’objet d’un chapitre à part entière, tout comme l’immigration, qui est aujourd’hui l’arme la plus efficace dans la guerre à mort que l’Empire global mène contre les résistances ethniques. Bien évidemment, je prends appui dans ma démonstration sur des centaines de citations. Je m’étonne d’ailleurs que ce travail de débroussaillage n’ait jamais été effectué jusqu’à présent.


LLJ : Vous n’avez pas abordé la question européenne ?


HR : Si, si, bien sûr. Là encore, en lisant Jacques Attali, entre autres, on s’aperçoit que nos intellectuels avaient déjà écrit qu’ils considèrent que cette construction est un marchepied vers le gouvernement mondial. C’est écrit en toutes lettres, et il n’est nul besoin d’aller chercher ces considérations dans les vieux textes d’avant-guerre. Bien entendu, j’ai eu l’immense plaisir de conclure ce chapitre avec la baffe géante du référendum du 29 mai 2005.

Permettez moi une petite anecdote : lors d’un débat télévisé, Cohn-Bendit, fou de rage, avait insulté Philippe de Villiers de la manière la plus outrageante. Que ce dernier n’ait pas relevé l’offense est une faiblesse bien pardonnable sur un plateau de télévision., car après tout, il vaut mieux passer pour un martyr, aux yeux des électeurs, que pour un homme violent et impulsif. Mais les transports de haine de Cohn-Bendit m’ont paru très révélateurs. Il faut comprendre, en effet, que les gens comme Cohn-Bendit vivent fébrilement l’époque que nous vivons. Tout leur paraît favorable aujourd’hui, et ils s’imaginent que l’humanité est enfin à la porte d’entrée des temps messianiques.


Il faut savoir que dans la tradition mosaïque, l’arrivée du Messie se confond avec l’unification du monde et la disparition des conflits, qu’ils soient nationaux ou sociaux. Ici encore les textes sont très explicites (Emmanuel Lévinas, Jacob Kaplan, George Steiner, etc.) Par conséquent, le NON des Français au référendum a littéralement fait capoter une étape essentielle qu’attendaient impatiemment les esprits planétariens. Mettez-vous à la place de Cohn-Bendit : il attend le Messie depuis 3000 ans ; on lui dit enfin qu’il va arriver, qu’il est là, au coin de la rue, qu’il approche, et puis plouf ! tout s’effondre parce qu’une poignée de résistants, d’abrutis réactionnaires qui ne comprennent rien à rien, ont préféré leur vulgaire liberté tribale à l’ouverture des temps messianiques. Avouez qu’il y a de quoi enrager !


LLJ : Vous voulez dire que c’est l’attente du Messie qui détermine les actes et les idées des intellectuels cosmopolites ?


Je ne parle ici que des intellectuels juifs. Pour eux, assurément, c’est la question essentielle. C’est précisément ce point qui constitue la question centrale de l’esprit mosaïque dans la mesure où elle se confond avec l’idée d’unification planétaire. Il faut comprendre que les intellectuels juifs vivent dans cette attente, et c’est cette tension permanente qui donne un sens à leurs actes et à leurs propos. Il est très rare qu’une œuvre, chez eux, soit une production neutre. A travers tous les livres que j’ai pu éplucher, à travers les nombreux films que j’ai pu analyser, je me suis rendu compte que leurs productions étaient toujours empreintes d’idéologie messianique.

Ce qui ressort de tout cela, assurément, c’est que l’avènement du monde nouveau passe par la destruction du catholicisme et du monde européen. Il faut avoir lu les travaux de Wilhelm Reich et les ouvrages des "freudo-marxistes" pour comprendre jusqu’où peut aller cette rage de destruction. Le thème de la "vengeance" se retrouve d’ailleurs aussi bien dans les textes religieux du XVIe siècle que chez certains romanciers contemporains comme Albert Cohen. Ce sont ces permanences qui m’ont frappé le plus. Elles traversent les siècles, se transmettent sans prendre une ride de génération en génération. Il n’y a rien de secret là-dedans, et d’ailleurs, la totalité des livres à partir desquels j’ai travaillé se trouvent dans les bibliothèques municipales de la Ville de Paris.


l’explication de l’antisémitisme par les Juifs eux-mêmes et de la mentalité cosmopolite en général, ainsi que de certains problèmes d’actualité : l’antisémitisme noir, la mafia, les grandes escroqueries de ces dernières années, qu’elles soient financières ou intellectuelles, les "boursouflures médiatiques"...


Je pense que le problème se situe en amont car il ne devrait pas être permis de nous laisser insulter nous européens par des non-européens. Hors vivent sur notre sol des populations qui n'aiment pas notre sol et ne nous aiment pas. Ils sont ici pour profiter du système et nous coloniser.